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au Canigou, soit. Pendant ce temps, il y a d’autres voyages qui ont certainement aujourd’hui un peu plus d’importance pour l’Europe, pour les relations générales du continent. Après l’entrevue de l’empereur d’Allemagne et de l’empereur de Russie à Alexandrovo, c’est maintenant M. de Bismarck qui vient de faire une excursion passablement retentissante à Vienne. Le chancelier allemand ne s’est pas contenté des entretiens qu’il a eus il y a quelques jours à Gastein avec le comte Andrassy, il a tenu à se rendre en personne dans la capitale de l’Autriche, où il a été reçu avec un éclat exceptionnel. « Les peuples comme les hommes ont peu de mémoire, » aurait dit récemment, à ce qu’on assure, ce grand sceptique. Le fait est qu’il y a treize ans déjà que l’armée prussienne était aux portes de Vienne, que depuis ce jour bien des événemens se sont accomplis, et que cette fois M. de Bismarck a été accueilli par la population viennoise non-seulement comme un hôte illustre, mais encore comme un ami, messager de bonnes nouvelles. Il a été fêté partout. L’empereur François-Joseph est allé le visiter dans son hôtel et l’a reçu avec des honneurs particuliers à Schœnbrunn. Les entrevues et les conférences se sont succédé. Or, quand un politique comme M. de Bismarck fait avec un si grand apparat un voyage de ce genre, quand un souverain comme l’empereur François-Joseph témoigne à son hôte une courtoisie si marquée, quand de tels incidens se produisent dans certaines circonstances, il est assez simple qu’ils soient aussitôt l’objet de tous les commentaires, qu’ils soient interrogés curieusement comme le signe d’une situation nouvelle, de quelque évolution dans les rapports publics. Quelle est donc cette situation nouvelle? quelle est cette évolution de diplomatie que le voyage de M. de Bismarck à Vienne pourrait inaugurer?

Voilà bien des questions obscures qui depuis quelques jours ont fait le tour de l’Europe. Et d’abord il faudrait, ce nous semble, écarter la France de tout ce travail dont le but est jusqu’ici invisible et insaisissable. Un journal anglais, hardi dans ses interprétations, disait récemment que l’alliance de l’Allemagne et de l’Autriche inaugurée par le voyage de M. de Bismarck devait avoir pour résultat de contenir « les aspirations agressives attribuées à la Russie et à la France, » et qu’à ce point de vue, elle ne pouvait être considérée que « comme une garantie de plus du maintien de la paix en Europe. » Si le chancelier allemand n’avait que cette pensée, il n’avait pas besoin d’aller à Vienne, il pouvait tout aussi bien continuer sa cure à Gastein ou aller se reposer à Varzin. Assurément la France, en ce qui la touche, n’a pas la moindre « aspiration agressive, » pas même l’intention d’ajouter aux difficultés que les autres suffisent parfaitement à se créer. Depuis longtemps elle n’a pas fait un geste qui puisse être malignement interprété, et le mérite de M. le ministre des affaires étrangères est justement d’avoir maintenu nos relations dans les termes les plus simples et les