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LES AMOURS
DE
FERDINAND LASSALLE

On a souvent prononcé le nom de Lassalle dans ces derniers temps; M. de Bismarck s’est chargé lui-même de remettre en honneur sa mémoire. Tout récemment encore, lorsque le Reichstag discutait la loi de sûreté publique, le chancelier de l’empire sut trouver l’occasion de parler avec éloge du célèbre agitateur, de l’éloquent tribun qui institua au printemps de 1863 l’association générale des ouvriers allemands, dont il fut jusqu’au terme de sa trop courte vie le président ou plutôt le dictateur. M. de Bismarck, on s’en souvient, se plut à célébrer la vigueur et l’étendue de son esprit, la diversité de ses talens, l’agrément de ses manières, le charme infini de sa conversation, et par forme de conclusion, il insinua que si ce grand révolutionnaire vivait encore, il renierait ses disciples et ses héritiers, qu’il serait aussi malheureux dans leur société qu’un aigle enfermé dans une basse-cour. Il est permis de comparer Lassalle à un aigle; il en avait, paraît-il, les yeux et le regard, il en avait aussi le bec, le cri, les serres puissantes, et quand il déployait la vaste envergure de ses ailes, le vent qui conspire avec les oiseaux de haut vol l’emportait parfois sur des sommets où ne montent jamais les corbeaux et les chouettes.

La loi de sûreté publique n’a pas encore produit les effets décisifs qu’on en attendait; les succès que viennent d’obtenir les socialistes dans les élections saxonnes en font foi. Il est naturel que les Allemands se demandent ce qui serait advenu du socialisme si, à trente-neuf ans, son fondateur n’avait été frappé mortellement dans ce tragique duel qui fit tant de bruit. Chacun arrange les choses à sa façon; dès qu’il s’agit de conjectures, l’imagination a beau jeu. » Ce qui nous manque, disent les démocrates socialistes, c’est un chef qui soit un grand politique. Nous l’avions, nous ne l’avons plus, et cependant nous sommes