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chantant comme les autres; la contexture même et l’harmonie de l’ouvrage nous indiquent en elle le grand premier rôle, la cantatrice dramatique (une Falcon, une Stoltz, une Cruvelli, une Krauss selon les temps) faisant vis-à-vis à la princesse Elvire, la cantatrice légère, ainsi que Masaniello, ténor de force, fait vis-à-vis au prince Alphonse, ténor léger. Et s’il n’en alla point de la sorte, c’est que des circonstances indépendantes de la volonté des auteurs s’y opposèrent.

Par un funeste événement
La parole à ses lèvres ravie
La livrait, sans défense à l’infidèle amant
Dont l’abandon empoisonna sa vie.


Cet événement, qui coupa la parole à l’infortunée jeune fille et sur lequel Scribe ne prend seulement pas la peine de s’expliquer, prouve que la pièce était déjà conçue et le siège fait quand il arriva; l’accident à jamais déplorable qui rendit muette la pauvre Fenella fut tout simplement que, Mme Branchu ayant pris sa retraite, il n’y avait plus à l’Opéra de premier sujet capable de représenter avec autorité cette dramatique figure, et de tenir sa place dignement à côté d’une Elvire ayant nom Cinti-Damoreau. Mais à défaut de cantatrice, on avait £0us la main une danseuse, Mlle Noblet, dont le talent mimique et la beauté se faisaient alors très remarquer. L’administration proposa aux auteurs de modifier le rôle à son intention. L’idée leur sourit, ils l’exécutèrent, elle réussit, et «voilà comment votre fille est muette ». Scribe et Auber n’étaient point gens à négliger une pareille invite; l’épreuve ayant succédé au delà de toutes les espérances, ils la renouvelèrent deux ans plus tard avec le Dieu et la Bayadère, et cette fois de propos délibéré. Ici encore le personnage principal ne chante ni ne parle, et la situation s’offrait d’autant plus belle qu’on aurait Mlle Taglioni pour figurer la Bayadère; tandis que Fenella se borne à s’exprimer par gestes, Zoloé joint par vocation la danse à la pantomime; et pourquoi, tandis que tout le monde chante autour d’elle, la charmante fille s’évertue ainsi des bras et des jambes, les deux auteurs, qui ne pouvaient cependant en faire encore une muette, vous le racontent en quatre vers :

Étrangère dans ce climat
Elle ne connaît pas encore
La langue facile et sonore
Des enfans de Brahma!


Rien n’est menteur comme un proverbe : soyons plus juste, tous sont