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lequel, pour le dire en passant, il nous a toujours paru que la politique avait plus de part que le sentiment littéraire. La maréchale voulut retenir auprès d’elle l’enfant de son frère et fit à cet effet à plusieurs reprises des démarches auprès du premier consul, qui parut un moment disposé à consentir, mais qui finit par laisser l’enfant à sa mère. Le petit Dermide accompagna donc Pauline Bonaparte à Rome dans la demeure des Borghèse ; un an après il était mort, ce qui fut pour la maréchale un grand chagrin en même temps qu’une justification de ses trop légitimes appréhensions. Cet événement n’était pas pour la guérir de son éloignement pour les pompes officielles; on en eut une preuve à ce moment même. Lorsque le consulat céda la place à l’empire, la maréchale Davout fut désignée pour faire partie de la maison de l’impératrice-mère, sur la demande même de Mme Lætitia. Cette faveur assujettissante fut reçue avec désespoir par la maréchale, et cette fois avec un profond ennui pour son mari, qui la laissa libre de faire à sa volonté, en lui conseillant cependant d’accepter pour ne pas paraître agir par égoïsme et s’attirer le reproche d’ingratitude. La maréchale suivit le conseil de son mari, mais à la première occasion elle prétexta son état de santé et se démit de sa charge. Que cette retraite ait été mal prise par l’empereur, qui, comme on le sait, aimait peu qu’on se dérobât à ses volontés, cela n’a rien d’inadmissible, et qui nous dit que ce n’est pas dans les incidens que nous venons de passer en revue qu’il faut chercher une des causes de cette froideur dont l’auteur de ces mémoires l’accuse envers le prince d’Eckmühl? C’est là sans doute une cause plus mesquine que la victoire d’Auerstaedt et les vues prêtées à Davout sur la Pologne, mais l’histoire du verre d’eau de la reine Anne est de tous les temps, et nous croyons fort qu’elle a joué un rôle considérable dans les rapports de ces deux grands hommes d’action.

Parmi les documens rassemblés dans les présens volumes nous trouvons une longue correspondance de la famille Leclerc, dont la partie la plus intéressante revient, cela va sans dire, à l’individualité la plus remarquable de cette famille, l’infortuné mari de Pauline Bonaparte. Ces lettres adressées de Saint-Domingue, tant à son beau-frère Davout qu’à son beau-frère le premier consul, et aux ministres de la guerre et de la marine d’alors, écrites d’un excellent style militaire, où la correction ne nuit en rien à la vivacité, sont d’un effet dramatique saisissant. C’est l’appel d’un naufragé, luttant contre toute espérance et employant ses dernières forces à faire des signaux de détresse à un heureux navire qui vogue sous un vent favorable, pavillon déployé, trop loin de lui pour le voir et l’entendre. Le vulgaire proverbe que les absens ont tort reçoit ici une effroyable justification. « Depuis le 21 germinal, écrit-il au