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mièvrerie et une correction pleine de magnificence. Nous ne craignons pas d’appuyer sur cet aimable sujet, car, si la beauté sous tous les régimes a toujours eu une influence sociale considérable, elle eut sous le régime consulaire une importance de premier ordre et fut pour ainsi dire un des instrumens politiques du nouveau régime. Ce n’était pas sans arrière-pensée personnelle que Bonaparte s’occupait de marier ses lieutenans et qu’il leur voulait des compagnes dignes d’eux; mais il faut convenir que cette arrière-pensée avait sa grandeur. Vous rappelez-vous cette première scène des mémoires de Consalvi, envoyé par le pape Pie VII comme négociateur du concordat auprès de Bonaparte? Il arrive aux portes d’un palais entouré de gardes en grand uniforme, traverse de vastes salles où partout l’image de la puissance militaire s’impose à ses regards, et lorsqu’enfin une dernière porte s’est ouverte et qu’une dernière tenture est retombée, il est ébloui par le plus inattendu des spectacles, le premier consul siégeant comme un roi au milieu de sa famille, de ses généraux reluisans de l’or de leurs costumes, et de leurs femmes étincelantes de bijoux et de pierreries. Il avait cru être envoyé dans une nation veuve de toutes ses splendeurs, et il tombait dans une cour aussi magnifique par la pompe et plus séduisante par le choix des personnes, toutes saisies par la grandeur dans la fleur même de leurs années, qu’aucune de celles que ses yeux avaient jamais vues. Le service que l’incomparable artiste politique demandait à la jeunesse et à la beauté, c’était de montrer à l’Europe, après la grande tourmente, le miracle d’un printemps social qui fût la justification visible de la prétention qu’affichait la France de s’être renouvelée par la révolution. Le renouveau était là évident dans ces fiers jeunes gens revêtus de l’uniforme, et dans ces femmes toutes brillantes de grâce et d’élégance. Il fallait qu’on sût que cette France ne s’était pas tellement décapitée elle-même qu’elle fût désormais le seul séjour de la tristesse, de la laideur et de la médiocrité. « Nous avions toutes vingt ans, et ils avaient tous trente ans, » disait un jour devant nous la maréchale d’Eckmühl, repassant le souvenir de ses jeunes années. Quelques semaines après, nous lisions les mémoires de Consalvi et nous comprenions toute la portée de ces mots si simples.

Si le premier consul avait trop compté sur les services de représentation officielle que cette belle personne pouvait rendre à ses réceptions et à ses fêtes, il dut éprouver quelque désappointement. La maréchale, on le voit par ses lettres intimes, ne goûtait que médiocrement les fatigans plaisirs du monde, et s’abstenait d’y paraître autant qu’elle pouvait. Elle préférait la tranquille existence de son Savigny, même avec un peu de solitude, à toutes les pompes de la cour; embellir cette belle demeure, en diriger les constructions