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tenait le jeune soldat. C’est sous ses auspices et ceux de Joséphine que s’accomplit le mariage de Louis Davout avec Mlle Aimée Leclerc, et en parlant ainsi nous ne craignons pas de trop nous avancer, car nous avons pour nous l’autorité même du maréchal, qui, dans ses lettres intimes à sa femme, lui rappelle à vingt reprises différentes que c’est au premier consul qu’ils doivent leur heureuse union. Mlle Aimée Leclerc était la sœur du général Leclerc, premier mari de Pauline Bonaparte et par conséquent beau-frère du premier consul ; en favorisant cette union, Bonaparte rapprochait donc Davout de sa propre famille aussi étroitement qu’il pouvait en être rapproché, sans en faire directement partie, et semblait dire qu’il l’associait d’avance à toute la grandeur qu’elle allait atteindre. Mlle Aimée Leclerc, de son côté, était digne de cette union. Née d’une famille d’excellente bourgeoisie, qui allait devenir sous le consulat et l’empire une famille toute militaire, elle unissait à une rare beauté une grande fermeté de caractère et cette loyauté du cœur qui seule fait les tendresses sûres et sensées. Elle avait reçu la meilleure éducation qu’il fût possible de recevoir au sortir du grand déluge, éducation qui aurait suffi pour la mettre d’emblée au niveau de la haute fortune que cette union allait lui faire, quand bien même elle n’y aurait pas été préparée de longue date par les leçons d’une mère excellente, les exemples de la famille et les dons d’une nature foncièrement droite et sans petitesses d’aucune sorte. Son éducatrice mérite bien de nous arrêter un instant, car elle ne fut, autre que la célèbre Mme Campan, l’ex-femme de chambre de Marie-Antoinette et l’auteur de curieux Mémoires pour lesquels nous demanderons la permission d’être moins sévère qu’on ne l’a été tout récemment ici-même.

Au sortir de la terreur. Mme Campan eut l’idée d’établir à Saint-Germain-en-Laye une institution pour les demoiselles, où elle pût sauver du naufrage de l’ancien régime ces principes de bonne éducation, ces traditions de politesse et ces méthodes de tenue correcte qui méritaient de lui survivre, en les modifiant légèrement pour les mettre au ton du jour. C’est dans cette institution que furent élevées à cette époque la plupart des jeunes filles de la haute bourgeoisie et de ce qui restait encore de noblesse en France. Mme Campan fut donc pour les hautes classes de la société française au sortir de la révolution à peu près ce qu’avait été, sous les dernières années de la monarchie, Mme de Genlis pour l’aristocratie libérale, et si l’empire put avoir une cour, c’est en partie à elle qu’il le dut. Cette personne, sinon supérieure, au moins peu commune, grâce à son institution, se trouva, dès la première heure de la fortune de Bonaparte, en relations presque intimes avec tous les membres de sa famille et de celle de Joséphine. Rien de plus