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y atteindre, sans se diminuer pour s’en écarter. Cette grandeur, elle la regarde comme chose naturelle et légitimement due à ceux à qui elle est échue; pour elle, se renfermant dans son rôle maternel, elle n’intervient dans cette existence princière que pour les questions qui en intéressent le ménage intérieur, ou qui peuvent en troubler le huis-clos, — médisances mondaines dont il faut se méfier, jalousies conjugales qu’il faut se garder d’exciter, — ou pour en contempler de loin le rayonnement du fond de sa petite ville, en compagnie de quelques bons voisins et amis de longue date. « Je ne puis me dispenser de vous dire un bon mot de notre pasteur, écrit-elle à son fils en 1808; le temps nous menaçait d’un orage, et j’ai fait : « On dirait que les nuages se dirigent du côté de la Pologne. » M. le curé de répondre : « M. le maréchal Davout ne peut craindre le tonnerre, il n’est jamais tombé sur les lauriers. » —Tout le monde l’a fort applaudi, et moi très contente. » Quel contraste cette gentille scène de vie provinciale fait apparaître entre cette existence paisible et celle de l’homme qui sortait d’écraser la Prusse et qui commandait alors presque souverainement en Pologne! Ne dirait-on pas un aimable tableau de genre en face de quelque tragique page de Gros?

Ce que fut Louis Davout pendant les années de l’enfance et de l’adolescence, cette mère si sensée nous l’a dit dans sa correspondance en deux mots qui sont un portrait achevé, où l’on peut retrouver sous les traits de l’enfant les qualités éminentes de l’homme de guerre que nous connaissons. « Le détail que vous me faites de Joséphine (la fille aînée du maréchal), est charmant ; sa bruyante gaîté annonce un heureux caractère et une longue vie. Il me semble voir son père dans son enfance ; il faisait beaucoup de tapage avec un grand sang-froid, et je n’ai jamais connu d’enfant plus doux.» L’homme tint ce que promettait l’enfant. Toute sa vie, à Auerstaedt, à Eylau, à Eckmühl, à Hambourg, Louis Davout fit grand tapage avec un sang-froid parfait. Son âme fut pour ainsi dire comparable à un tonnerre sans craquemens, et il y eut toujours dans ses actes militaires tous les effets de la furie guerrière la plus irrésistible sans aucun des symptômes extérieurs qui en révèlent la présence. Nul chef d’armée ne sut écraser ses ennemis, ce qui est le comble du tapage, avec une fermeté plus tranquille, ni regarder le péril en face avec un plus hautain mépris. C’était un bronze qui renvoyait la défaite avec une impassibilité terrible; si jamais batailles présentèrent un air de fête, à coup sûr ce ne sont pas celles de Davout, qui méritent au contraire de rester classiques comme étant quelques-unes de celles qui présentent l’image exacte de la guerre dans toute sa tragique beauté. La nature l’avait sacré pour le commandement en le dotant d’une inflexibilité taciturne qui le disposait