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de Napoléon, recueillie et éditée par les soins du gouvernement impérial, répondirent la correspondance du roi Joseph, si remplie de récriminations douloureuses contre le despotisme fraternel, les plaidoyers habilement accusateurs des Mémoires de Marmont, les récits discrètement acerbes du général Miot de Mélito. Depuis lors nous avons eu les Mémoires du général Philippe de Ségur, qui sut allier à l’admiration la plus fervente pour le maître de son choix l’équité la plus sévère. L’époque actuelle, on sait par quel concours de circonstances, est singulièrement favorable à toute divulgation qui permettra de continuer cette enquête contradictoire commencée sous le second empire et en dépit de lui ; on a pu le voir tout récemment à la curiosité éveillée par les spirituels récits, publiés ici même, où Mme de Rémusat a pour ainsi dire humanisé le bronze impérial en en dévoilant les faiblesses, voire même les petitesses intimes. Tout document nouveau pourvu qu’il porte la marque de l’authenticité, tout témoignage pourvu qu’il émane d’une source directe, seront sûrs d’être bienvenus auprès du public contemporain. Les papiers et la correspondance du prince d’Eckmühl, publiés par sa plus jeune fille, viennent donc bien à leur heure; ils y viennent doublement bien, et parce qu’ils introduisent devant nous un des plus grands personnages du premier empire, et parce qu’il y a pour un Français d’aujourd’hui un intérêt très particulier à connaître de près le vaillant homme par qui la Prusse fut écrasée, plus que par aucun autre, en 1806, et qui, selon le mot heureux de Lamartine, aurait mérité d’être appelé Davout le Prussique, comme Scipion portait à Rome le surnom d’Africain.

Ce n’est pas que ces papiers dévoilent rien de très important, au point de vue politique ou militaire ; mais ils révèlent mieux que cela : ils révèlent un être moral, une âme pleine de grandeur et un cœur plein de bonté. Tous ceux qui ont eu l’honneur d’approcher Mme la marquise de Blocqueville, — et ceux-là sont nombreux parmi les écrivains tant anciens que nouveaux de ce recueil, — savent quel culte ardent elle porte à la mémoire de son illustre père. Jamais cette expression de piété filiale, qui donne une portée religieuse au plus pur des sentimens humains, ne fut justifiée d’une manière plus noblement touchante. Ce que ce père à peine entrevu a laissé à sa fille, c’est mieux qu’un souvenir dont elle a le droit d’être fière et la joie de se parer, c’est pour ainsi dire sa présence invisible de génie protecteur sans cesse réclamé comme appui, sans cesse interrogé comme conseil. Cette enthousiaste piété filiale a inspiré à Mme de Blocqueville une tentative originale, celle de laisser le maréchal se révéler lui-même devant la postérité, tel qu’il fut dans le secret de sa vie privée, par le moyen de ses lettres intimes et les témoignages des siens. Je dis que la tentative est originale, car elle est jusqu’à