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Le saint-simonisme, au contraire, supposait une révolution sociale et une prise de possession du gouvernement. En second lieu, le saint-simonisme supprimait la propriété du sol et le capital. Il ne restait plus que des fonctionnaires. Dans le phalanstère, au contraire, les associés ne sont pas fonctionnaires, mais actionnaires. A moins de dire qu’une action de chemin de fer n’est pas une propriété, on doit reconnaître que la mise en actions d’une lieue carrée de territoire, assurant à chacun un dividende proportionnel à son apport, ne change en rien les conditions fondamentales de la propriété actuelle.

Le phalanstère ne supprime donc pas la propriété, mais il résout, du moins Fourier le croyait, l’antinomie entre la grande et la petite propriété. Cette antinomie se concilie par le système de « la propriété combinée. » Le phalanstère résout aussi les antinomies soulevées par la division du travail, par les machines, par la concurrence, et il est permis de dire que la célèbre méthode qu’un autre socialiste fameux, Proudhon, a employée plus tard avec fracas, la méthode des antinomies, résolues par une synthèse supérieure, est déjà en principe dans Fourier, non pas qu’il ait employé cette méthode trichotomique, mise à la mode par Hegel, et dont Proudhon a fait un usage si sophistique ; c’est le fond du système, sinon la forme que l’on trouverait dans Fourier. Il a même encore cette supériorité sur Proudhon, que celui-ci excellait sans doute à mettre en contradiction la thèse et l’antithèse, mais était absolument négatif et muet quand arrivait la synthèse, tandis que Fourier avait une solution, chimérique sans doute, mais positive, et qu’il proposait avec une entière sincérité.

L’idée fondamentale du phalanstère étant indiquée, rappelons brièvement les idées qui s’y rattachent. Il y en a quatre principales : le travail attrayant; — le triple ou quadruple produit; — le minimum garanti; — la répartition proportionnelle. Ces théories sont trop connues pour que nous y insistions. Bornons-nous à quelques mots sur le fameux principe du travail attrayant.

La théorie des séries a pour conséquence nécessaire celle du travail attrayant. Suivant Fourier, il n’y a aucune passion primordiale qui nous porte au travail ; mais il n’y en a aucune qui nous en éloigne. Nul n’aime travailler pour travailler; mais nul ne se refuse à travailler lorsqu’il y trouve la satisfaction d’une passion. Or, dans le phalanstère chacun choisissant spontanément l’occupation qui lui agrée le plus, la variant sans cesse, sans aller jusqu’à la lassitude, enfin étant exalté par la double impulsion des sens et de l’âme, travaille avec plaisir, tandis que dans la civilisation le travail est une contrainte. On dit que le travail sera toujours, quoi