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Ainsi le problème philosophique et moral de l’harmonie des passions n’est autre en réalité que le problème économique de l’organisation du travail. Or ce problème, la nature l’a résolu pour nous en nous donnant trois passions fondamentales qui ont pour office propre de déterminer et dérégler le mécanisme sériaire. Ce sont les passions mécanisantes et distributives que nous avons déjà signalées, mais qu’il nous reste à décrire et à nommer. Ces trois passions que Fourier appelle « des ressorts m sont la cabaliste, la papillonne et la composite. La cabaliste est l’esprit de rivalité et d’intrigue si funeste dans l’état de civilisation, mais quia sa raison d’être dans le dessein de la Providence : « Pourquoi Dieu, dit Fourier, a-t-il rendu les hommes si enclins à l’intrigue, et encore plus les femmes ? C’est parce que dans l’ordre sociétaire tout homme, femme, enfant doit être membre de trente, quarante, cinquante séries, y épouser chaudement l’esprit de parti, les cabales... Une série ne souffre pas de sectaire modéré : elle a horreur de la modération. Qu’en arrive-t-il ? Que ses ouvrages sont de niveau avec la véhémence de ses passions. » La papillonne est « le besoin de variétés périodiques, situations contrastées, changemens de scènes, incidens piquans, nouveautés propres à créer l’illusion, à stimuler sens et âme à la fois. » Enfin la composite est la passion qui recherche la composition des plaisirs, ou, comme s’exprime Fourier, « l’amorce composée », à savoir la réunion des plaisirs des sens à ceux de l’âme.

Ces trois passions mécanisantes ou ressorts agissent par le moyen de trois leviers qui sont : l’échelle compacte, les courtes séances et l’exercice parcellaire. La compacité ou échelle compacte consiste dans « le rapprochement des variétés cultivées par des groupes contigus. Par exemple, sept groupes qui cultiveraient des poires très différentes ne pourraient former une série passionnelle. Ces groupes n’auraient ni sympathie, ni antipathie, ni rivalité, ni émulation, faute de rapprochement. La cabaliste n’y aurait point son essor. » Il faut donc des groupes compacts, où tous les intermédiaires soient représentés. Le principe des courtes séances s’explique assez par lui-même. Les plus longues ne dépasseraient pas deux heures. Sans cette disposition en effet, un individu ne pourrait s’engager dans une trentaine de séries, comme il est nécessaire pour le jeu de la cabaliste. Le principe des courtes séances correspond à la passion de la papillonne. Enfin l’exercice parcellaire est la troisième condition ou troisième levier. D’après ce principe, le travail de chacun doit se borner à telle parcelle de fonctions : c’est la division du travail poussée à l’extrême. Le troisième levier sert à satisfaire la passion de la composite, en permettant, grâce à la facilité du