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ce que Fourier considère comme le nœud de son système, et comme sa grande invention sociale : c’est que l’homme n’est pas seulement porté à former des groupes, il l’est aussi à former des « séries ; » non-seulement il obéit à certaines impulsions, appelées passions ; mais ce que les philosophes n’ont pas vu, c’est que, parmi ces passions, il en est un certain nombre dont la fonction est précisément d’établir entre les autres un certain ordre, un certain mécanisme, et d’en rendre possible le libre essor. C’est la découverte de ce troisième foyer d’attraction qui constitue l’originalité de la psychologie de Fourier, et qui contient implicitement la solution du problème social.

Quelles sont les diverses passions qui se rattachent à ces trois grandes sources d’attraction ? Le bien-être extérieur ou intérieur, objet du premier groupe, n’est autre chose que la satisfaction des sens ; et comme il y en a cinq, il y aura donc cinq passions fondamentales qui réunies composent ce que Fourier appelle dans sa terminologie barbare le luxisme. En second lieu, la tendance sociale ou affection que Fourier appelle le groupisme donne lieu à quatre passions principales, parce qu’il y a lieu à former quatre espèces de groupes. Ou bien nous nous réunissons par choix libre ou sympathie de caractère : c’est ce qu’on appelle l’amitié ; ou bien par l’intérêt commun ou similitude d’occupation : c’est l’esprit de corps, ou, suivant Fourier, « lien corporatif, » mobile qu’il confond avec l’ambition, parce que l’ambition peut être collective ou individuelle ; collective lorsqu’on veut la supériorité de sa corporation sur les autres : de ce genre est l’ambition du clergé ; individuelle, lorsqu’on cherche la supériorité dans sa corporation propre. En troisième lieu, les groupes sont formés par l’attrait des sexes : et c’est la passion de l’amour ; d’où naît un quatrième groupe, à savoir la famille, reposant sur un ensemble d’affections que Fourier appelle familisme. Il y a donc dans la seconde classe quatre passions fondamentales : l’amitié et l’ambition, l’amour et le familisme.

On remarquera que, parmi les passions fondamentales, Fourier ne range pas le patriotisme. Sans qu’il s’explique sur ce point, on est autorisé à supposer qu’il considérait cette passion comme appartenant à l’ordre civilisé et subversif. La nature humaine étant la même partout, il n’y a pas lieu à la diviser en peuples différens. La patrie, dans le système de Fourier, c’est la commune sociétaire, la phalange. L’amour de la patrie sera donc l’amour de la phalange : il sera la résultante naturelle de toutes les passions, la phalange étant le vrai milieu où elles peuvent se satisfaire.

Nous venons de constater l’existence de neuf passions fondamentales ramenées à deux types, l’amour du bien-être et la tendance aux groupes. Supposons maintenant un état de choses où ces neuf passions,