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haine et le mépris de la civilisation. Il fit en 1790 son premier voyage à Paris; il en reçut une vive impression et fut particulièrement « émerveillé du Palais-Royal. » Cette impression paraît avoir exercé une assez profonde influence sur son imagination, car le Palais-Royal a été plus tard le type de l’architecture phalanstérienne, et c’est encore au Palais-Royal que l’un de ses disciples, M. Cantagrel, place la scène d’un de ses ouvrages, imité du Neveu de Rameau, et où son héros, le fou du Palais-Royal, comme il l’appelle, expose la théorie de Ch. Fourier. Après avoir fait des études classiques, probablement médiocres, car on n’en aperçoit guère les traces dans ses écrits, il entra dans les affaires, d’abord comme commis, puis comme entrepreneur à son propre compte. Il venait de s’établir à Lyon, en 1793, et avait mis tout son patrimoine dans une spéculation de denrées coloniales, lorsque le siège et la prise de Lyon par l’armée révolutionnaire vinrent non-seulement détruire sa fortune, mais compromettre sa liberté et sa vie. Étrange rencontre, que nous avons déjà signalée ailleurs, mais qu’on ne saurait trop méditer! les trois rénovateurs sociaux de la révolution, Babeuf, Saint-Simon et Ch. Fourier furent incarcérés en 1793, et le hasard seul les a sauvés de l’échafaud. Fourier, en particulier, fut sauvé par un mensonge (on ne dit pas lequel), et il aimait à rapporter ce fait, disant qu’il ne se faisait aucun scrupule d’avoir menti pour sauver sa tête, malgré la thèse des rigoristes qui soutiennent qu’il n’est pas permis de faire le plus petit mensonge pour obtenir même le plus grand bien. Une fois hors de prison, Fourier ne fut pas sauvé pour cela : il fut obligé de se cacher et enfin de se réfugier à Besançon dans sa famille.

Ayant perdu sa fortune, après le siège de Lyon, il continua à se livrer au commerce, mais non plus à titre de patron et de chef de maison. Il redevint commis, et jusqu’à la fin de sa vie. On dit que c’est pour avoir vu de trop près les fraudes et les perfidies du commerce qu’il fut amené, en en cherchant les remèdes, à découvrir ses propres projets de réforme sociale. Chargé, en 1799, par ses patrons, de jeter à la mer une cargaison de riz qu’ils avaient laissée périr pour faire hausser la denrée, ce fut cette année-là même qu’il aurait trouvé, nous dit-on, la grande invention sociale qui doit, suivant ses disciples, immortaliser son nom : cependant il n’en fit part au public que quelques années après.

La première publication de Ch. Fourier est un article sur les affaires extérieures, qui parut le 3 décembre 1803 dans le Bulletin de Lyon, imprimé et dirigé par Ballanche[1]. Cet article frappa le premier consul, qui invita le journal à ne plus s’occuper de ces matières

  1. Voir dans le Correspondant (1851) un article de M. Ducoin, intitulé : Particularités inconnues sur quelques personnages.