surnaturelle dignité. Malgré la passion sauvage qui anime les bourreaux, la résignation et la noblesse du supplicié dominent encore l’attention, et il semble qu’en retraçant cet horrible drame Rembrandt ait voulu à la fois, au plus fort de sa détresse, attester l’énergie indomptée de son courage et se proposer l’imitation de ce noble exemple.
Si âpre que soit la vie pour lui, son âme reste fière et sereine, aussi incapable d’amertume que de langueur. Ses portraits à ce moment, celui de Dresde, celui de Cassel surtout, nous montrent le vieux maître avec son mâle et large visage, éclairé par un sourire de contentement, heureux encore, parce que rien n’a pu le détourner de son art et qu’il peut toujours satisfaire son amour pour le travail. Les deux œuvres, quoiqu’elles aient souffert, sont des exemplaires de cette grande et forte manière qui est plus que jamais la sienne. Avec une sobriété extrême dans les moyens, elles laissent paraître cette entente toujours plus profonde de la vie qui met le souffle de sa pensée sur les lèvres de ses figures et allume dans leurs yeux une étincelle empruntée au foyer intérieur qui les anime. Nous sommes à l’apogée de la carrière de Rembrandt, dans cette période de suprême puissance et de mesure parfaite où son génie se manifeste dans toute sa plénitude, période dont les Syndics d’Amsterdam demeurent pour nous la création la plus accomplie.
Après les Syndics, une ère nouvelle s’ouvre pour Rembrandt. Sa vie, jusque-là peu en vue, devient plus cachée encore. Malgré les minutieuses recherches des érudits, elle a conservé ses secrets. C’est à peine si de loin en loin, avec la sécheresse énigmatique ou la brutalité concise de sa forme, un acte public sorti de la poussière des archives nous apporte quelques révélations, les unes embarrassantes et pénibles pour ses admirateurs : une réprimande infligée à sa servante pour ses relations avec son maître, et, la même année, la naissance d’un enfant venu de ce commerce. A côté de ces documens dont on voudrait pouvoir contester l’authenticité, d’autres qui sont plus honorables pour sa mémoire, comme les mesures qu’il prend pour conserver à Titus, le fils de Saskia, la part du bien qui lui revient de sa mère, ou encore les remboursemens successifs par lesquels il arrive à désintéresser tous ses créanciers. Enfin, à la date du 8 octobre 1669, une courte mention sur un registre mortuaire, et puis c’est tout. La rareté de ces informations ne jette sur la vie du peintre qu’une lumière douteuse; c’est à ses œuvres elles-mêmes qu’il convient de demander des indications plus formelles. Elles aussi deviennent plus rares à ce moment; leur caractère du moins est bien marqué et il va en s’accentuant de plus en plus.