mêlés et qui, pour acquérir toute leur valeur, doivent repasser par la fournaise, le génie du maître devait bientôt se purifier et grandir au contact du malheur. Cette existence qui jusque-là s’était écoulée paisible, remplie par l’amour de l’art et les joies de la famille, allait être profondément troublée. L’heure de l’épreuve était proche, et avec elle aussi celle de la maturité.
Coup sur coup, en effet, Rembrandt était frappé dans ses plus chères affections. Sa mère meurt la première (septembre 1640), sa femme la suit de près (juin 1642), et de l’année même où il perd Saskia, comme s’il voulait marquer cette date fatale, il signe une des plus importantes et certainement la plus célèbre de ses œuvres ; la Ronde de nuit. Sur cette création étrange, audacieuse et indécise, décousue malgré son unité, pleine d’efforts apparens et de délicatesses cachées, et où l’on sent plutôt le trouble enfiévré de la recherche que la clairvoyance du but, sur cette vision qui inquiète le bon sens et ravit l’imagination, la vérité a été dite ici même[1], et le jugemens qu’en a porté Fromentin nous paraît définitif. En présence du tableau, sous le coup d’un saisissement dont après mainte visite on ne sait pas se défendre, nous avons relu cette appréciation loyale, singulièrement pénétrante et précise, et une épreuve aussi redoutable nous en a fait mieux encore sentir tout le prix. La critique restait à la hauteur de l’œuvre, sincère, sympathique même dans ses réserves et plus respectueuse, a le bien prendre, que les louanges aveugles d’admirateurs intolérans.
Ce n’est donc pas encore la pleine maturité que nous montre la Ronde de nuit, et, avec toutes ses beautés, elle porte aussi en elle la trace de contradictions ou de violences qui ne sont pas le fait d’une entière possession de soi-même. Rembrandt doit continuer à lutter ; il n’est pas sorti vainqueur de ce combat qui se présente pour tout peintre alors qu’il lui faut choisir entre les données positives de la réalité et l’idéal particulier qu’il se propose d’en tirer. Mais nulle part les hésitations et les tiraillemens de sa volonté ne se manifestent d’une manière plus significative que dans les paysages qui, vers cette époque, apparaissent dans son œuvre.
Était-ce par cet amour qu’il avait toujours éprouvé pour la nature, était-ce par ce vague besoin de consolation qui attire vers elle les âmes endolories que le pauvre abandonné se sentait poussé ? Quoiqu’il en soit, les études de paysages auxquelles depuis longtemps il s’était
- ↑ Voyez la Revue du 1er mars 1876.