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très étudiée. Grâce au ton neutre du fond et à la simplicité du costume noir, le regard va droit au visage, à cette figure large, intelligente et ouverte. Avec un style plus ample, le peintre a conservé ses rares qualités de conscience et de scrupuleuse honnêteté, et c’est par cette lente et légitime progression de talent que se prépare l’éclosion prochaine de son génie.

Mais voici de nouveau Rembrandt lui-même (musée de Dresde, n° 1215); une peinture sage encore, mais plus animée, plus libre, avec un coloris plus riche et des transparences plus chaudes. Le jeune homme est en belle humeur et vêtu comme un brillant cavalier. Son large col orné de guipures est rabattu sur un riche pourpoint d’une étoffe gris-neutre rayée d’or. qu’a-t-il donc à se parer ainsi? Non loin de là, avec la même date 1633, dans un rayon de soleil, apparaît une gracieuse figure de jeune fille rose, aimable, potelée, aux petits yeux vifs et pleins de malice. Ses lèvres vermeilles, entr’ouvertes par un sourire, laissent voir des dents plus mignonnes que les perles qui s’étalent sur sa chemisette. Un béret d’un rouge grenat surmonté d’une plume grise projette une ombre colorée sur son front. La robe, bleue à dessins blancs, est ornée de nœuds et d’aiguillettes d’or ; les mains sont enfermées dans des gants gris. Sous ce gai soleil, ce visage radieux que nous voyons pour la première fois, c’est celui de Saskia van Uilenburgh, qui allait devenir la femme de Rembrandt. Où s’étaient-ils connus? par quel hasard cette fille noble et riche avait-elle rencontré sur son chemin ce plébéien? On est réduit aux conjectures. Restée orpheline dès l’âge de douze ans, Saskia avait été recueillie par une de ses sœurs mariées. Elle comptait parmi ses alliés des magistrats, des littérateurs, un peintre même, Wybrand de Geest, dont le musée de Stuttgart possède un remarquable tableau de famille. À cette date, Rembrandt était déjà célèbre, il avait de nombreux élèves, et les commandes abondaient chez lui. il pouvait bien, sans présomption, aspirer à une telle union. Sans doute un penchant mutuel avait décidé les deux jeunes gens, et il semble que les portraits de Dresde nous les montrent souriant à leur amour, probablement fiancés déjà, puisque l’année suivante le peintre ramenait de la Frise, dans sa maison de la Breestraat, à Amsterdam, celle qui depuis le mois de juin 1634 était sa compagne.

Entré dans cette âme passionnée, l’amour l’avait envahie tout entière : les deux époux étaient tout l’un pour l’autre. Mais dans ce court intervalle de bonheur qui leur était accordé, il y avait encore place pour le travail. Rembrandt trouvait un modèle dans cette femme aimée qui se prêtait à tous ses caprices et se laissait orner à son gré. Aussi les images de Saskia abondent, et elle revit pour