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qu’il ne se lasse pas de varier. De profil, de face, en buste ou en pied, il pose dans toutes les attitudes et sous toutes les lumières. Il ne saurait trouver modèle plus complaisant, ni qui se prête de meilleure grâce à toutes ses tentatives, et alors, en face de son miroir, il se campe le poing sur la hanche, il se drape, il ébouriffe sa chevelure rebelle, il se coiffe d’un turban ou revêt l’armure d’un homme de guerre. Quelquefois aussi, plus rarement, il nous montre ses proches, sa mère surtout, une figure vénérable dont il exprime, avec un respect tout filial, la fine et bienveillante physionomie. Puis vers cette première époque apparaissent déjà quelques essais de clair-obscur, des têtes envahies par de larges parties d’une ombre un peu verdâtre[1], éclairées par quelques accrocs de lumière; essais d’abord timides, indécis, et dans lesquels l’artiste ne persévère pas. il comprend qu’il n’est pas encore mûr pour ces libres interprétations de la nature et il se hâte de revenir à des études plus formelles.

En 1630, nous le voyons fixé à Amsterdam, dans ce milieu si vivant, si peuplé de peintres, déjà considéré lui-même comme l’un des premiers et entouré d’élèves. En attendant qu’il aille plus tard habiter en plein quartier des Juifs, il est souvent attiré de leur côté. Il a bien des raisons de frayer avec eux. Dans la société des rabbins, il aime à se renseigner sur la Bible, à en pénétrer le sens, à en découvrir les beautés. Il va fureter chez les brocanteurs pour y chercher ces étoffes, ces curiosités de toute sorte qu’il commence à collectionner et qu’il appelle « ses antiques. » C’est là aussi qu’il trouve des modèles à son goût, ces vieillards au nez busqué, aux paupières épaisses, dont si souvent il a reproduit le type franchement hébraïque. Dans une de ces études (musée de Cassel, n° 348), les moindres détails, les rides et les plis de la peau, les poils de la barbe, sont minutieusement indiqués, mais déjà d’un pinceau plus souple et avec un sentiment plus large de l’ensemble.

Le portrait du musée de Brunswick (n° 131), daté de 1631, qui passe à tort pour celui de Hugo Grotius, correct, presque froid à force de conscience, et le portrait de femme qui lui sert de pendant, plus timide encore, quoique de deux ans postérieur, nous montrent cette persistance des mêmes scrupules en face de la nature. Les visages en pleine lumière et les vêtemens noirs s’enlèvent nettement sur un fond gris; les collerettes blanches sont étudiées pli à pli; la peinture est sage, réglée, posément exacte. Mais pour un peintre de vingt-trois ans quel talent déjà! quelle force dans le regard de l’homme, quel sentiment vrai de la vie se montre sur ce visage fin,

  1. Musée de Cassel, n° 361 et musée de Gotha, n° 45.