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confuse, nous cédions à cet intérêt naturel qui s’attache aux origines d’un grand maître, à l’éducation et aux influences qu’il a pu recevoir. Aussi bien, sur les commencemens de Rembrandt lui-même, les informations nous font défaut. Depuis le moment où il quitte l’atelier de Lastman, en 1623, jusqu’à l’apparition de sa première œuvre connue, en 1627, nous perdons complètement sa trace. Ce furent là sans doute pour lui des années fécondes de recueillement et de travail. A Leyde, où il vivait au milieu des siens, il pouvait, sans se presser de produire, se fortifier dans son art par ces études désintéressées, qui sont à la fois l’épreuve et la promesse des hautes vocations. Son premier tableau, le Saint Paul dans sa prison, du musée de Stuttgart, ne fait cependant présager ni les destinées qui l’attendent, ni surtout la nature de son talent. La facture est sèche et dure, les détails sont accusés pesamment et la peinture n’a pas grand charme. Et cependant, à y regarder de plus près, l’air réfléchi de ce captif, l’accord de l’attitude avec l’expression du personnage, le geste de cette main qui va écrire sous l’impulsion de la pensée, tout cela n’est pas d’un débutant vulgaire. La précision même de la forme témoigne en faveur de la conscience du jeune artiste. Ni les vagues indications, ni les témérités hasardeuses où tant d’autres s’abandonnent ne le contentent. Il sent qu’il faut mettre à l’entrée de sa carrière ces notions exactes qu’on n’acquiert que par une sincérité et un labeur opiniâtres, et il s’impose un programme sévère dont il ne s’écartera pas de longtemps. Sa conscience est donc extrême, et, si on ne la connaissait pas, le nom de son premier disciple serait fait pour étonner. Dès 1628 en effet, nous voyons que Gérard Dow, à peine moins âgé que lui, fréquente son atelier. À cette date cependant le rapprochement s’explique, et les œuvres des deux peintres offrent, quant à l’aspect du moins, des ressemblances frappantes. Mais ce qui pour Gérard Dow semble le but principal n’est chez Rembrandt que la marque d’une observation plus intime de la nature, d’une attention toujours vigilante à suivre les fluctuations les plus délicates de la lumière aussi bien que les moindres inflexions des formes; le fini est au fond et non à la surface.

Ses habitudes de graveur lui viennent en aide sur ce point. La pointe de l’aquafortiste ne permet pas de subterfuges; elle oblige à la précision, elle force à résumer, à choisir dans la réalité tous les traits significatifs. Rembrandt a commencé de bonne heure son apprentissage d’un art qu’il renouvellera et qui dès maintenant, en le faisant vivre avec les œuvres du passé, lui apprend à connaître les maîtres de l’Allemagne et de l’Italie. Mais c’est surtout sur lui-même que, le burin ou le pinceau à la main, il poursuit des expériences