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un Conseil des magistrats de la cité. Le musée de Brunswick possède cependant de lui deux œuvres de premier ordre. L’une, datée de 1622, époque de sa pleine maturité, représente un légiste, Antoine Faber, avec sa belle tête, son large front, son air énergique, plein de sens et de droiture. La peinture est saine, puissante dans ses intonations ; et le modelé, très simple, très franc, dénote une irréprochable sûreté. L’autre tableau, probablement de la même époque, est un chef-d’œuvre. Il nous montre une famille hollandaise : dix personnages de grandeur naturelle et vus jusqu’aux genoux. A gauche, trois grands fils sont placés par rang d’âge, debout, au-dessus de leur père. Celui-ci, — la figure jeune et robuste encore, la barbe et les cheveux bruns, — est assis en face de sa femme, jeune aussi, de physionomie distinguée et sympathique, portant comme son mari un costume noir et une collerette blanche. Autour de la mère se groupent ses cinq filles, vêtues, ainsi que leurs frères, de costumes sombres, largement coupés et sans ornemens. Seule, la plus petite des filles, une bambine de huit à dix ans, mise un peu moins sévèrement, porte une robe jaune brun à raies de broderies plus claires. C’est la dernière de la famille; on lui passe quelque coquetterie dans son ajustement : un bonnet brodé d’or, un collier et des bracelets de corail. Elle tient à la main une branche de groseilles rouges et s’appuie sur les genoux de sa mère. L’aînée promène ses doigts effilés sur les touches d’un petit piano à deux claviers superposés. Les dix visages en pleine lumière, étages sans grand souci de composition, se détachent avec éclat sur les vigueurs intenses du fond et des vêtemens. Ces honnêtes figures qui se montrent à vous sans fierté comme sans embarras, ont un charme singulier. On reconnaît bien là les membres d’une même famille, mais les nuances des âges et des tempéramens sont marquées avec un art délicat sur leurs physionomies. Le milieu aussi est nettement accusé. On se sent en présence d’une race énergique, un peu austère, pratiquant le devoir plus que le plaisir et qui ne sacrifie rien au paraître. Aucun laisser-aller dans cet intérieur : des attitudes graves, plus de dignité que d’expansion, et cependant nulle froideur. Notez que ces indications et bien d’autres encore que nous pourrions relever sont écrites en termes précis, dans une langue simple, loyale, contenue, mais substantielle, et dans sa sobriété même pleine de force et de grandeur. Cette science consommée et qui s’efface si complètement est en harmonie parfaite avec le sujet et donne à l’œuvre toute sa signification.

Qu’on rapproche cette peinture serrée, suivie à fond, sérieuse et dépouillée de tout artifice, de la manière vive, alerte, spirituelle et incisive d’un liais, si vrai aussi à sa façon, et, malgré sa désinvolture,