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même pour ce qui concernait les œuvres de Rembrandt, Burger ne pouvait se décider à conclure. Par conscience autant que par désir d’accroître son savoir et ses jouissances, il ne se lassait pas de rechercher, de voir, de comparer et d’amasser sans relâche notes et renseignemens. C’était chaque année l’occasion pour lui de visiter quelque musée nouveau et de nous entretenir des découvertes qu’il avait pu y faire. Des scrupules toujours renaissans, par exemple celui d’un voyage à Saint-Pétersbourg qui, tout en l’effrayant, lui semblait obligatoire pour quiconque veut entreprendre sur Rembrandt une étude complète, d’autres préoccupations encore, la crainte de voir, sitôt que son travail aurait paru, surgir quelque document important relatif à son maître préféré, tout s’accordait pour retarder une publication qu’il ne devait point faire. Jusqu’au bout cependant il se promettait bien de réaliser son dessein, et, comme s’il avait voulu s’y contraindre lui-même par des engagemens publics, il annonçait de temps à autre l’apparition du livre dont il donnait le titre : Rembrandt, l’homme et son œuvre. En attendant, le charme agissait peu à peu sur lui, et la passion qui l’avait pris tout entier ne lui laissait plus toujours sa clairvoyance habituelle. Dans un commerce dont les séductions le captivaient de plus en plus, non-seulement il s’était familiarisé avec les bizarreries du grand artiste, mais il s’était épris de ses imperfections mêmes. Lui qui avait si justement remis en honneur l’école hollandaise, rectifié sur tant de points son histoire, réhabilité avec une verve si chaleureuse et des argumens si précis quelques-uns des maîtres méconnus ou oubliés, il en venait parfois à proclamer l’influence de Rembrandt sur des talens dont l’originalité est incontestable. Dans son fanatisme inconscient, il lui arrivait même, à lui l’homme des dates, de reconnaître cette influence chez des peintres qui, loin de procéder de Rembrandt, l’avaient précédé, comme si le culte qu’il rendait à son idole exigeait qu’il lui immolât des victimes innocentes.

Malgré tout, cette admiration sincère et enthousiaste devait porter ses fruits. Burger, par sa passion ardente, avait encouragé des recherches dont il devenait le confident naturel et provoqué des découvertes qu’il transmettait aussitôt au public français avec une abnégation et une modestie qui méritent d’être signalées. On s’était en effet mis à l’œuvre en Hollande, et, çà et là, à force de minutieuses investigations, quelques rares documens, quelques dates, quelques indications positives avaient successivement grossi la liste des renseignemens primitifs. Il était temps que ces lumières éparses fussent réunies en faisceau. Un Hollandais seul était capable d’un tel travail, et le livre que Burger s’était promis de faire, c’est