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bien choisir leurs modèles ; mais je ne crois pas qu’on doive leur faire trop d’honneur de leur préférence : ils n’étaient guère en état, dans ces temps reculés, de distinguer l’ancienne littérature grecque de la nouvelle, et les écrivains du siècle de Périclès de ceux qui vivaient à la cour des Ptolémées ; peut-être même n’ont-ils jamais fait très nettement cette distinction, et lion est surpris de voir leurs critiques les plus éclairés parler plus tard d’Apollonius de Rhodes à peu près comme d’Homère, d’Aratus comme d’Hésiode, de Callimaque comme de Pindare. Le choix qu’ils firent alors s’explique moins par la finesse de leur goût que par les circonstances. Les vieux poètes grecs, quoiqu’un peu effacés dans le monde par la gloire d’écrivains nouveaux, continuaient à régner sans partage dans les écoles. Les grammairiens les expliquaient à leurs élèves et ils faisaient le fond de l’éducation publique. Comme les Romains connurent d’abord la Grèce par l’intermédiaire des professeurs qui venaient élever leurs enfans, ils furent naturellement amenés à admirer et à imiter les écrivains qu’on imitait et qu’on admirait dans les écoles, c’est-à-dire ceux de l’âge classique. Il faut dire aussi que, par leur grandeur et leur simplicité, ces vieux poètes convenaient à un peuple énergique et jeune, qui était en train de conquérir le monde. Malheureusement les mâles vertus des premiers Romains ne résistèrent pas à leur fortune, et au moment où elles commençaient à s’altérer, le progrès même de leurs conquêtes les mit en relation plus directe avec les-Grecs. Après avoir connu la Grèce dans les écoles et par les livres, ils allèrent la voir chez elle et prirent l’habitude de la parcourir. À Athènes, à Pergame, à Alexandrie, dans ces grandes villes qu’ils visitaient si volontiers, et dont plusieurs avaient été les capitales de royaumes puissans, ils trouvaient une société éclairée, polie, spirituelle, dans laquelle ils étaient heureux de vivre, une littérature différente de celle que leurs maîtres leur avaient enseignée, et qui du premier coup les charma. Le temps était favorable à cet art nouveau : il était né dans un-monde de gens délicats et raffinés, amis du plaisir et du repos, et qui avaient renoncé sans chagrin aux joies sérieuses de la liberté pour en éviter les périls ; il avait fleuri dans le voisinage des cours, sous la protection des souverains qui le regardaient comme une des plus belles décorations de leur pouvoir ; le succès qu’il obtint à Lomé dans la seconde moitié du VIIe siècle semblait bien montrer que la république était malade, qu’il s’établissait de nouvelles habitudes qui annonçaient l’avènement d’un autre régime, et que, dès l’époque de Sylla, on était prêt pour César. C’est en vain que quelques amis du passé résistèrent : Cicéron se plaignit amèrement de « ces amoureux d’Euphorion, » qui osaient railler Ennius et lui préféraient un bel esprit d’Alexandrie. Lucrèce aussi resta