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le blé dans un moulin, aidés par de jolis petits ânes qu’ils mènent avec des guirlandes de fleurs. Ils vendent, ils achètent, ils chassent, ils pêchent à la ligne, et cette distraction paraît si bien à nos peintres un plaisir divin qu’ils l’attribuent plusieurs fois à Vénus elle-même. Un des plus agréables tableaux et des plus connus, dans ce genre précieux et coquet, est celui de la Vendeuse d’Amours. Une vieille femme vient de prendre un petit Amour dans une cage et le tenant par les ailes le présente à une jeune fille qui veut l’acheter. Celle-ci ne paraît pas être tout à fait à ses débuts, car elle tient déjà un autre Amour sur ses genoux ; elle n’en regarde pas moins avec beaucoup de curiosité celui qu’on va lui vendre et qui tend joyeusement les mains à sa nouvelle maîtresse.

J’ai déjà dit un mot de ce que devint la mythologie dans la nouvelle école de peinture ; on a vu que les vieux mythes perdirent leur sens profond et sérieux. Un des procédés ordinaires de ces peintres, quand ils reprennent les sujets auxquels l’art ancien avait donné une grandeur idéale, c’est de les ramener autant qu’ils le peuvent à des proportions humaines ; ils se plaisent à effacer tout à fait la distance qui sépare les dieux des hommes et à traiter les légendes héroïques comme des aventures de la vie de tous les jours. On voit bien qu’en peignant les amours des dieux l’artiste a toujours sous les yeux ce qui se passait à la cour des Séleucides ou des Ptolémées. Dans le fameux Jugement, Vénus, qui veut être préférée, coquette avec Pâris comme une femme du monde. Tandis que Polyphème, assis sur le bord de la mer, chante ses douleurs sur sa lyre, on voit arriver sur un dauphin un Amour qui lui apporte une lettre de Galatée. Mars et Vénus sont des amoureux prudens qui ne veulent pas être découverts pendant qu’ils se livrent à leurs doux entretiens ; une peinture de Pompéi les montre qui, pour être avertis de l’approche des indiscrets, ont soin de se faire garder par un chien. Voilà une façon bien vulgaire d’introduire la vie réelle dans les légendes héroïques. Tout ce qu’avaient conservé d’un peu rude et d’antique ces vieilles histoires se trouve adouci, ou, si l’on veut, affadi dans les peintures pompéiennes. La tradition voulait que Narcisse fût mort en se mirant dans un ruisseau ; mais un ruisseau aurait paru sans doute trop rustique à ces délicats ; on l’a remplacé par un bassin élégant que remplit un Amour en versant l’eau d’un vase à long col.

Le caractère de cette peinture indique clairement son âge : c’est bien l’art alexandrin que nous avons sous les yeux ; mais est-il sûr que cet art soit fidèlement reproduit dans les fresques de Pompéi, et jusqu’à quel point peut-on se servir d’elles pour le juger ? C’est