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I.

M. Helbig a publié sur les peintures d’Herculanum et de Pompéi deux ouvrages qui se complètent l’un par l’autre. Le premier nous en donne le catalogue minutieux, avec des descriptions aussi précises que possible, et les classe d’après leur sujet, quand on est assez heureux pour le découvrir. Dans l’autre, l’auteur traite toutes les questions que ces peintures soulèvent ; il cherche surtout à savoir jusqu’à quel point les artistes qui les ont faites sont originaux et si l’on peut connaître à quelle école ils appartiennent.

De ces deux livres, il est naturel que ce soit le second qui se lise avec le plus de plaisir ; mais le premier, quoique plus aride en apparence, est peut-être encore plus utile. Même isolé de l’autre ouvrage qui lui sert de commentaire, ce catalogue est plein des renseignemens les plus curieux. — Il me semble qu’on peut juger une époque non-seulement par les livres qu’elle lit volontiers, mais par les tableaux qu’elle aime surtout à regarder: c’est un indice qui ne trompe guère sur son caractère et sur ses goûts. Appliquons cette règle au catalogue de M. Helbig. Sur l,968 peintures qu’il a classées et décrites, il y en a un peu plus de 1,400, près des trois quarts, qui de quelque manière se rattachent à la mythologie, c’est-à-dire qui représentent les aventures des dieux ou les légendes de l’âge héroïque. Ce chiffre indique la place que les souvenirs religieux du passé tenaient dans la vie de tout le monde au Ier siècle. Les incrédules même et les indifférens en subissaient le prestige ; quand les consciences leur échappaient, ils régnaient encore sur les imaginations. C’est une réflexion qu’on a souvent l’occasion de faire lorsqu’on étudie l’art ou la littérature de cette époque, mais nulle part elle ne frappe plus qu’à Pompéi. Il importe d’y insister quand on songe qu’au moment même où les artistes décoraient à profusion les villes campaniennes de ces images de dieux et de héros, le christianisme commençait à se répandre dans l’empire. Saint Paul venait précisément de passer tout près de ces rivages, en se rendant de Pouzzoles à Rome, et l’on a quelques raisons de croire que la coquette et voluptueuse ville que le Vésuve allait engloutir avait reçu la visite de quelques chrétiens[1]. Ils prêchaient leur doctrine et célébraient leurs mystères dans ces maisons dont les murs leur rappelaient à tout moment un culte ennemi. La multitude de ces peintures mythologiques nous donne une idée des obstacles qu’avait à surmonter le christianisme. La religion contre laquelle il luttait s’était mise en

  1. On a trouvé une inscription tracée au charbon sur une muraille blanche, où on lit assez distinctement le mot de Christianus.