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les caractères les plus intéressans et les mieux soutenus. Henriette Temple, qui a été traduite dans toutes les langues, est une simple et charmante histoire d’amour : c’est la peinture des progrès d’un sentiment noble et délicat chez deux jeunes cœurs qu’un irrésistible penchant entraîne l’un vers l’autre, et qui tous les deux, immolent au devoir et à l’honneur cette affection sincère, lorsque l’intervention aussi généreuse qu’imprévue d’un brillant grand seigneur vient lever les obstacles qui s’opposent à leur union. Dans ce grand seigneur, peint sous les couleurs les plus aimables, on se plut à reconnaître le comte d’Orsay, à qui le livre était dédié. Quelques mois plus tard, au commencement de 1837, parut une autre histoire d’amour, Venetia, aussi brillamment écrite, mais moins bien composée et moins attachante que sa devancière, et dont les principaux personnages, sous des noms supposés, étaient lord Byron, le poète Shelley, son ami, et lady Caroline Lamb qui exerça sur la destinée du grand poète une si fatale influence. Venetia est la dernière œuvre exclusivement littéraire de M. Disraeli : il touchait au but de son ambition.

En effet, le 20 juin 1837, le roi Guillaume IV succomba à une maladie qui n’avait point inspiré d’inquiétude er, qui fit tout à coup de rapides progrès. La mort du souverain, suivant les usages anglais, mettait fin aux pouvoirs du parlement convoqué par lui et nécessitait des élections générales. Les électeurs de Wycombe offrirent la candidature à M. Disraeli, qui la déclina. Il s’était lié avec un des plus riches propriétaires du comté de Kent, M Wyndham Lewis, l’un des deux députés de Maidstone. M. Lewis, qui était un tory, avait pour collègue un partisan du ministère, M. Roberts, qui se retira pour céder sa place au colonel Thompson, l’un des chefs de la fraction radicale dans le parlement dissous. M. Lewis proposa à M. Disraeli de faire campagne avec lui, et de disputer au colonel Thompson la succession de M. Roberts. M. Disraeli accepta. Il se présenta aux électeurs de Maidstone comme le champion inflexible de l’antique constitution britannique, comme le défenseur des prérogatives de la couronne, des droits égaux des deux chambres, et des libertés du peuple. À ce dernier titre, il se déclarait l’adversaire déterminé de la loi des pauvres, que le cabinet whig avait fait voter. Il annonçait la résolution de soutenir les droits de l’église établie, qu’il considérait comme la principale institutrice et comme la grande distributrice d’aumônes de l’Angleterre; et il promettait de veiller sur les intérêts de l’agriculture. Le 27 juillet 1837, les deux candidats conservateurs furent élus à une majorité considérable. M. Disraeli était enfin membre du parlement.


CUCHEVAL-CLARIGNY.