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des deux places de député du comté était devenue libre. Une circonstance plus favorable ne pouvait se présenter : M. Disraeli n’avait point à chercher un collège électoral dont il pût solliciter les suffrages : une vacance se produisait dans le comté même où sa famille résidait, où il était le mieux connu, à quelques milles de la demeure paternelle. Sa détermination fut prise immédiatement. Il ne pouvait ignorer que l’influence de M. Robert Smith était toute-puissante sur la corporation de High Wycombe, et que cette influence allait s’exercer en faveur d’un personnage officiel, le colonel Grey, troisième fils et secrétaire particulier du premier ministre; mais le bill de réforme venait enfin d’être voté, et il devait nécessairement avoir pour conséquence une dissolution prochaine du parlement. L’élection qui allait avoir lieu à High Wycombe n’était donc en quelque sorte qu’une élection préparatoire; il était important de prendre date et de se faire connaître des futurs électeurs que le bill de réforme allait investir du droit de suffrage. M. Disraeli posa donc sa candidature. Sir E. L. Bulwer lui rendit le mauvais service de demander à Joseph Hume, le vétéran du radicalisme parlementaire, et à O’Connell, de vouloir bien le recommander. Ni l’un ni l’autre ne connaissait personne à High Wycombe, et les lettres banales qu’ils envoyèrent à sir E. L. Bulwer ne pouvaient être d’aucune utilité pour le candidat : encore Joseph Hume, sur une réclamation de M. Robert Smith s’empressa-t-il de retirer la sienne, trois jours après l’avoir envoyée. Néanmoins, ces deux lettres ont suffi pour échafauder une accusation qui a pesé sur toute la carrière politique de M. Disraeli et dont la persistance étonne encore plus que l’injustice : aujourd’hui encore, après plus de quarante ans, on ne manque point d’invoquer ce prétendu patronage de Joseph Hume et d’O’Connell comme la preuve que le chef actuel du parti conservateur n’a jamais eu ni convictions ni principes, et qu’après avoir professé, pour entrer au parlement, les opinions radicales les plus avancées, il les a reniées à la voix de l’intérêt.

Une seule remarque suffirait à faire justice de cette imputation. À ce moment, les radicaux du parlement faisaient cause commune avec le ministère, qui avait pris en main la réforme électorale; ils votaient avec lui à la chambre des communes ; ils votaient pour ses candidats dans les élections. C’est à raison de cette alliance que Joseph Hume se reconnaissait dans l’obligation de retirer la lettre qu’il avait écrite en faveur de la candidature de M. Disraeli. Or celui-ci se présentait en concurrence avec un candidat ministériel, avec le fils du premier ministre, et il se déclarait l’adversaire irréconciliable des whigs. Il agissait donc au rebours de la conduite que les radicaux croyaient devoir tenir, et il ne pouvait compter