Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tory à la façon des gentilshommes campagnards qu’il a criblés des traits d’une si fine ironie, et qu’il nous montre aussi inaccessibles à toute pensée de changement qu’inflexibles sur leurs droits de chasse et leurs prérogatives seigneuriales. Si nous cherchons le secret des opinions de M. Disraeli dans ses premiers ouvrages, et particulièrement dans cette Épopée des révolutions, où les théories politiques tiennent tant de place, nous y voyons qu’il estimait déjà que l’impulsion politique doit venir d’en haut, parce que l’autorité seule peut accomplir des réformes sans déchiremens et sans secousse, et qu’il croyait à l’utilité d’une classe dirigeante, d’une aristocratie, à la condition qu’elle justifiât sa prépondérance par ses lumières, son dévoûment au bien public et sa promptitude à tous les sacrifices, en se montrant toujours l’amie du pauvre, la protectrice des arts, l’initiatrice de tous les progrès. Pour que la noblesse anglaise remplît les conditions de cette aristocratie idéale, il était nécessaire qu’elle se transformât, qu’elle apprît à faire un plus généreux usage de sa richesse et un meilleur emploi de ses loisirs, qu’elle préparât de bonne heure ses enfans aux fonctions législatives par des études sérieuses et qu’elle se tînt constamment au niveau des idées de son temps. Pour être plus sincèrement et plus sérieusement libéraux que les whigs, pour se montrer ce qu’ils étaient, les véritables amis du peuple, les tories n’avaient d’ailleurs qu’à demeurer fidèles aux traditions de leur parti. Si une irrésistible réaction contre les excès de la révolution française, si les exigences d’une lutte terrible contre Napoléon les avaient contraints de faire un usage rigoureux du pouvoir, on n’avait pas le droit d’abuser des nécessités d’une situation exceptionnelle et temporaire pour identifier leur nom avec les idées de compression. N’étaient-ce pas leurs orateurs et leurs hommes d’état qui, sous les trois premiers George, avaient défendu les libertés publiques contre les whigs et avaient lutté contre le despotisme démoralisateur de Walpole?

Tout en professant les mêmes idées que les tories sur le respect de la prérogative royale, sur l’autorité de la chambre des lords et sur le maintien de l’église établie, M. Disraeli ne se croyait tenu de repousser aucune réforme utile, d’être hostile à aucun progrès. Un esprit puissant et libre de préjugés, Bentham, avait soumis à une critique rigoureuse toutes les parties de la législation anglaise : il en avait fait ressortir les incohérences, les vices et les lacunes. Bien qu’il eût exposé ses idées sous une forme et dans un style bien propres à rebuter les lecteurs, il avait fait école. Des hommes jeunes, ardens et, pour la plupart, d’un incontestable mérite, s’étaient déclarés ses disciples et s’étaient voués à la propagation de ses doctrines. Ils s’étaient groupés autour d’un recueil trimestriel,