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limites de la vraisemblance et atteignent, on peut le dire, à l’extravagance. Aussi le public fit-il à Contarini Fleming un accueil assez froid pour décourager l’auteur, qui avait écrit ce livre avec passion. Ce jugement de la première heure n’était pas sans appel. L’Allemagne se montra plus indulgente que l’Angleterre pour les conceptions aventureuses et les effusions mystiques de l’auteur. Goethe s’exprima favorablement sur le livre, et Henri Heine en fit l’objet d’un article louangeur. En Angleterre même, la critique rendit justice au talent qui éclatait dans des descriptions d’une rare beauté, aux pages brûlantes et parfois d’une éloquence singulière qui rachetaient le décousu du récit et l’étrangeté des situations. Le découragement de l’auteur ne fut point d’ailleurs de longue durée; car, au bout de quelques mois à peine, paraissait un roman, Alroy, qui portait pour second titre : « Récit surprenant. » L’auteur ne pouvait en effet se dissimuler l’invraisemblance absolue des aventures de son héros, bien qu’il essayât de la pallier en ajoutant à son livre une notice étendue sur Scanderberg. Alroy est un prince de la maison de Juda qui entreprend d’arracher ses coreligionnaires à l’oppression et aux outrages dont ils sont victimes. Il les appelle aux armes, les enflamme par ses chants et tente de reconstituer un état juif : après des succès inespérés, il succombe dans une lutte héroïque, emportant dans la tombe l’admiration de ses ennemis. On trouve ici distinctement la trace des préoccupations qui avaient conduit le jeune Disraeli au fond de l’Orient : ses prédilections particulières et, si l’on peut s’exprimer ainsi, son orgueil national s’y sont donné libre carrière. Il semble que, dans la conception primitive de l’auteur, Alroy ait dû être un poème, car les vers y abondent : non-seulement les vers blancs, qui se confondent aisément avec la prose, mais les vers rimes, et des pages entières pourraient presque sans changement être réimprimées comme des vers. Une œuvre comme Alroy, malgré l’étrangeté et l’invraisemblance du sujet, devait moins choquer en Angleterre que sur le continent : les esprits y sont familiarisés dès l’enfance, par une lecture assidue de la Bible, avec les lieux où l’auteur place le théâtre de son récit, avec les sentimens qu’il met dans le cœur de ses personnages et avec toutes les traditions de la race hébraïque. Guerrier et poète, Alroy tient de David et de Macchabée : on sent à la vivacité et à la chaleur du récit que l’auteur est plein des souvenirs de l’Ancien-Testament, et ses descriptions, par leur éclat et par l’impression de vérité qu’elles laissent après elles, trahissent l’homme qui a vu avec l’âme autant qu’avec les yeux, et dont la pensée a encore présens devant elle, dans leur antique beauté, les lieux qu’elle décrit.

Après Alroy, qui était un poème en prose, vinrent, au commencement