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Car il n’y a pas à dire, parler de cent cinquante et de deux cent mille francs chaque fois qu’on monte un nouvel ouvrage n’est plus aujourd’hui chose possible. On économisera sur quelques pièces d’étoffe, on rognera sur les accessoires; si par hasard il arrive que M. Gounod exige de vrais chameaux pour le Tribut de Zamora, on suppliera l’auteur de Faust et de Roméo et Juliette de se contenter des chameaux de la Caravane du Caire en lui objectant que les chevaux attelés au char de Sévère, tout en étant des chevaux de chair et d’os, de vrais coursiers, n’en ont pas mieux fait les affaires de son Polyeucte. Vous verrez que c’est encore la musique qui devra payer les frais de la comédie. A tout prendre, le mal ne serait point trop déplorable, s’il n’y avait de compromis que le système; pour deux ou trois étoiles de moins, le firmament ne tomberait pas. Agissons donc selon nos moyens : une bonne troupe d’ensemble, jeune et homogène, tirée autant que possible du Conservatoire, une troupe capable à la fois de jouer le répertoire et de créer les opéras nouveaux, et, ce principe admis, que personne, sous aucun prétexte, n’y déroge; plus de virtuoses, des chanteurs actifs, convaincus, liés à nous pour trois et six ans, et mettons hors concours une fois pour toutes, — fussent-ils membres de l’Institut et membres de vingt commissions, — les musiciens qui ne se contenteraient pas de notre régime, lequel suffisant à Mozart, à Rossini, à Meyerbeer, devra également suffire à M. Thomas et à M. Gounod, sinon, non! Ce que pourrait être le Conservatoire sous une impulsion intelligente et déterminée, on ne le saura probablement jamais, tant que cette institution sera considérée comme une espèce de canonicat de Saint-Denis réservé aux vieux compositeurs à bout de souffle. Le Conservatoire, mal gouverné comme il l’est, donne encore par intervalle certains résultats. Gailhard et Lassalle, de l’Opéra, Mlle Vauchelet, M. Talazac, de l’Opéra-Comique, sortent de là, et c’est là qu’il faut se recruter, en ayant soin d’y saisir en quelque sorte les talens à leur éclosion et sans leur laisser le temps de s’envoler vers la province ou la Belgique, qui nous les gâtent, ainsi qu’il est arrivé pour les deux jeunes femmes qu’on vient de faire débater dans les Huguenots, Mlle Hamann, voix de blonde flexible et légère, mais où le sentiment brille par son absence, et Mlle Leslino, une Valentine à outrance, dont le goût est déjà faussé, un tempérament dramatique surmené et qui manque tous ses effets par excès de zèle. Ce rôle d’instituteur d’une jeune troupe siérait admirablement aux aptitudes de M. Vaucorbeil; je le vois enseignant, formant tout ce monde, l’ayant bien dans la main, lui insufflant l’esprit de tradition, le goût du style. Schumann parle d’une cassette où Beethoven enfermait ses génies et dont avant de mourir il aurait jeté la clé d’or dans le Danube : rêverie hoffmanesque sans moralité pratique; les maîtres n’enferment point leurs idées, tout au contraire, ils leur