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il a spéculé, lui aussi, sur le mauvais goût du parterre de son temps. Est-ce un exemple que nous devions suivre? ou proposer à l’imitation? ou seulement avancer comme une Justification? Le bon Homère, au dire d’Horace, ne laissait pas de sommeiller quelquefois : notre Molière quelquefois est tombé bien bas dans la farce. Et quand on prétend s’autoriser de son exemple, c’est alors le cas de dire que « la chasteté d’Alexandre a fait moins de continens que l’exemple de son ivrognerie n’a fait d’intempérans. »

Il existe en France une compagnie dont le rôle, ou même la mission sociale est de résister contre les entraînemens comme celui dont M. Labiche est en te moment, je ne sais s’il faut dire le héros, ou la victime : j’ai nommé l’Académie française. C’est à elle qu’il appartient de maintenir, — autant qu’elle le peut encore, — cette hiérarchie des genres, de protéger, avec l’intégrité de la langue, le peu de traditions qui nous restent, et, le cas échéant, de déjuger la foule. Dans une société comme la nôtre, elle ne saurait avoir la prétention d’imposer à personne une direction : elle peut au moins se défendre contre l’invasion des genres inférieurs. C’est en somme, jusqu’ici, bien qu’entre plusieurs candidats qui briguaient son suffrage elle n’eût pas toujours choisi le plus digue, ce qu’elle avait su continuer de faire. Va-t-elle maintenant ouvrir sa porte à ces genres qui jadis n’osaient pas seulement y frapper? C’est ce que l’on commence à craindre. Combien déjà compte-t-elle d’auteurs dramatiques? et veut-elle s’en adjoindre un de plus? « Il y a fagots et fagots, » dit le bon sens de Sganarelle. Loin de nous la pensée de disputer son rang en littérature à l’œuvre dramatique, et ce rang est peut-être le premier. Il n’y a qu’un Shakespeare, et nous n’avons connu qu’un Molière. Dans le domaine de la poésie, peut-être ne saurait-on rien nommer qui balance Othello, si ce n’est l’Ecole des femmes. Si le mot de création a quelque sens dans la langue de l’homme, c’est de Desdémone et d’Agnès qu’il est vrai, c’est de la création dramatique, c’est du poète qui fait respirer, marcher, parler, vivre enfin sur la scène ces immortelles figures, plus vraies, plus vivantes que la réalité même. Mais il y a des degrés, plusieurs degrés, beaucoup de degrés.

Ce n’est pas le lieu de discuter ici ceux de nos auteurs dramatiques qui siègent à l’Académie française. Ils y sont : ce qui est fait est fait. Oublions ce qu’on pourrait en dire, puisqu’aussi bien à peine en est-il deux ou trois dont on pourrait gloser. Mais au moins que l’on s’arrête

Après Agésilas,
Hélas !
Mais après Attila,
Holà!