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tout cent douze actes : il n’y en a que quatre, — je dis quatre actes, — qui soient signés de lui seul, et ce ne sont pas les meilleurs. C’est une question délicate que celle de la collaboration, et pour en parler doctement, je sens qu’il faudrait être vaudevilliste soi-même. Au moins peut-on se demander si c’est vraiment faire œuvre littéraire que de composer ainsi sous une raison sociale. Car tout n’est pas dit quand on a constaté que toute collaboration est un concubitus, qu’il y a «dans tout concubitus un mâle et une femelle » et que « Labiche est un mâle. » Si j’avais l’honneur d’être académicien, je crois d’abord que je n’écrirais pas cette phrase, et j’aimerais, — puisqu’enfin parmi les collaborateurs de M. Labiche il en est qui comptent, M. Gondinet par exemple, de nombreux et brillans succès, — j’aimerais à savoir pour qui je vote, je voudrais être assuré que personne, après M. Labiche, n’invoquera comme un titre le Plus heureux des trois, et qu’aucune candidature à venir ne me mettra dans le cas de répondre « que j’ai déjà nommé quelqu’un pour cela. » Humble spectateur ou simple lecteur, il me plairait encore assez, quand je goûte une bonne plaisanterie du Misanthrope et l’Auvergnat, de savoir si c’est à M. Labiche ou si c’est à M. Siraudin que je dois la reconnaissance du rire. Certes, si tous les collaborateurs de M. Labiche ressemblaient à M. Legouvé, si dans l’œuvre commune ils imprimaient tous fortement, comme l’inventeur de l’Art de la lecture, leur marque personnelle, il n’y aurait pas lieu seulement de poser la question. Je vais voir jouer la Cigale chez les fourmis: il s’agit d’une jeune fille à marier, d’une bonne petite fillette bourgeoise qu’il faut élever à la dignité d’une alliance aristocratique : sait-elle seulement se coiffer? ou sait-elle s’habiller? et vingt autres détails du même genre. Tout cela M. Labiche a pu le trouver, mais ici son collaborateur lui fait remarquer sagement « qu’il ne suffit pas qu’une femme soit bien coiffée... bien habillée pour plaire à un honnête homme, et le rendre heureux, » il faut encore qu’elle sache lire; voyons donc comme elle se tirera d’une lettre de Mme de Sévigné par exemple. « Oh! oh ! celui-là ne s’attend pas du tout ; » je reconnais ici le dada de l’oncle Tobie, je veux dire la manie de M. Legouvé. Lui seul, qui jadis avait trouvé le moyen d’introduire dans Adrienne Lecouvreur une fable de La Fontaine, était capable d’interpoler dans la prose de M. Labiche une lettre de Mme de Sévigné. Mais tous les collaborateurs de M. Labiche n’ont pas ainsi, comme M. Legouvé, un « faire » qu’on reconnaisse entre mille. C’est fâcheux, parce qu’il y a de petits esprits que cette confusion de paternité ne laisse pas d’embarrasser et de troubler dans leurs jugemens. Cela les gêne de songer que, s’ils relèvent quelque part une plaisanterie d’un goût douteux, un couplet d’une langue incertaine, M. Labiche en rira là-bas et dans son par-dedans répondra que justement le couplet est de M. Marc Michel, par exemple, ou la plaisanterie de M. Delacour. C’est fâcheux, parce que, si ces détails n’importent guère