Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais généreux, sa soif de justice, sa charité simple et touchante, sa vaillance à la besogne si rude qu’elle soit, ses vertus de famille solides, malgré bien des irrégularités d’état civil et jusqu’en ces irrégularités, nous l’avez-vous jamais montré? Votre peuple à vous, c’est une bête tour à tour brute ou féroce, proie livrée d’avance à toutes les convoitises, à toutes les contagions, à tous les vices. Si votre peuple était le vrai peuple, il n’y aurait plus qu’à quadrupler le nombre des hôpitaux et à décupler celui des sergens de ville. Une seule chose le pourrait consoler : c’est que le reste de la société, quand vous y touchez, ne paraît pas valoir mieux que lui.

Non, ce n’est pas le vrai peuple que l’on peint; ce n’est pas davantage pour lui que l’on écrit. On n’est pas ému de ses misères et désireux d’y porter remède. On n’a point été conduit par une pensée philanthropique et populaire. Ce n’est pas au peuple que s’adressent les livres où il est en scène. Ils sont faits au contraire pour un public appartenant à ces classes que l’on appelle les classes supérieures, qui s’intitulent elles-mêmes les classes dirigeantes. Pour piquer leur curiosité blasée, on leur offre un nouveau ragoût. Les belles dames du XVIIIe siècle, lasses de la poudre et des paniers, trouvaient une distraction à se déguiser en bergères: Florian leur arrangeait des idylles enrubannées. On promenait à Trianon des agneaux bien lavés; la cour y allait boire du lait en grande pompe. La mode est inverse aujourd’hui, mais non pas différente : les ennuyés et les raffinés ont besoin de quelque régal étrange pour réveiller leur appétit languissant. Voici le piment attendu. On leur montre des filles de trottoir, des mauvais lieux, des ouvriers ignobles et des souteneurs. On fait danser devant eux des ilotes ivres, on les mène voir des descentes de la Courtille. Pour que rien ne manque au spectacle, l’argot dans ce qu’il a de plus sot, de plus abject même, est mis de la partie. On s’ingénie à recueillir, non-seulement les vulgarités, mais les indécences qui peuvent tomber des bouches déchues et dégradés. C’est un spectacle comme un autre, comme celui de ces arènes de barrière où certaine belle société allait voir il y a quelques années un bull cassant les reins à des douzaines de rats. Le spectacle est nouveau, il émoustille, il plaît. On est ravi et l’on bat des mains : voilà l’une des causes, et non la moins puissante, de ce succès dont on est si fier, de ces éditions innombrables que l’on fait sonner si haut.

Il faut conclure, et la chose n’est pas malaisée. Le naturalisme, au point de vue de la doctrine littéraire, a inventé peu de chose. Il y a deux cents ans passés que Boileau, l’homme qui certes prétendit le moins à l’honneur d’avoir inventé quoi que ce soit, disait en son Art poétique aux auteurs comiques ses contemporains:

Que la nature donc soit votre étude unique.


Au point de vue du fait, il en est un peu différemment. Parmi les