Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vraiment donné sa mesure que lorsqu’il aurait su représenter une Parisienne de nos jours avec toute l’élégance de sa vie et toute la délicatesse de ses sensations. M. Edmond de Goncourt s’est même du coup frappé quelque peu la poitrine : il est convenu que si son frère et lui avaient donné le mauvais exemple qu’on avait trop suivi et commencé par écrire Germinie Lacerteux, c’est qu’ils avaient succombé à la tentation de traiter d’abord les « sujets faciles. »

« Sujets faciles » est bien dit. Il ne faut pas en effet un bien grand effort ni même un travail bien long pour découvrir quelque chose d’inédit sinon de nouveau dans les rayons de la grande ruche ouvrière parisienne, et se figurer que l’on enrichit son siècle de précieux « documens humains. » Depuis l’Assommoir de M. Zola, les lavoirs de Paris n’ont plus de mystères, la profession de zingueur et celle de soudeur en métaux n’ont plus de secrets, comme depuis le Ventre de Paris l’arrière-boutique du charcutier où l’on fait le boudin, et le sous-sol du coin des Halles où l’on plume la volaille, n’en avaient plus. Nous voici maintenant initiés à tout ce qui passe dans un atelier de brocheuses. On peut continuer quelque temps encore avant d’avoir épuisé la série des corps de métiers. Attendons de précieuses révélations, qui ne sauraient manquer de venir, sur la tannerie, la corroirie, les égouts et les abattoirs. Quand on nous aura, par le menu, fait connaître la fabrication de tous les articles de Paris, quand on aura passé en revue tous les travailleurs du jour et de la nuit, il faudra cependant trouver autre chose en fait de « documens humains, » à moins qu’on n’aime mieux se redire. Nos romans modernes forment ainsi comme une rallonge au livre de M. Maxime Du Camp sur Paris et ses organes. On pourra extraire de chacun des détails précis sur l’exercice des professions. Ils pourront servir à composer quelque Dictionnaire de la conversation, une nouvelle collection de « manuels Roret,» à moins que précisément ils n’aient commencé par sortir de ces dictionnaires et de ces manuels.

Si je trouvais dans ces livres nouveaux une profonde sympathie pour les humbles et les déshérités de notre société, je me sentirais disposé à leur égard à une certaine indulgence; mais je l’avouerai franchement, j’y trouve plus de curiosité que d’intérêt véritable. J’entends bien ce que l’on nous dit : nous vivons dans une démocratie, et la France est une république. Le souverain actuel a nom : sa majesté le suffrage universel, et le suffrage universel est peuple surtout; c’est donc du peuple surtout que doit s’occuper une littérature démocratique. Ah! le beau mot et qu’il fait bien dans un programme! Mais hélas! nous avons été si souvent payés de mots que nous nous défions aujourd’hui de cette monnaie; avant de l’accepter pour bon argent, nous demandons à l’essayer d’abord. Quoi vraiment, messieurs, vous êtes des démocrates et des amis du peuple! En vérité, à vous lire, on ne s’en douterait pas. Le vrai peuple de Paris seulement, avec ses enthousiasmes, irréfléchis