page des journaux, qui n’ont pas cependant pour mandat de rapporter surtout les belles actions. Pourquoi ne pas voir le bien comme on voit le mal? Pourquoi se boucher volontairement, en face de la réalité, un des deux yeux, celui qui apercevrait la vertu à côté du vice? Je ne sais quel plaisir on peut trouver à représenter comme si profondément dégradée une humanité à laquelle, quoi que l’on fasse, on appartient, et une société où l’on vit volontairement. Il n’est pas jusqu’à leurs monstres, j’allais dire leurs héros, que ces messieurs ne peignent plus noirs qu’ils ne sont. Je ne sais si l’on a jamais vu une femme, même arrivée à cette crise redoutable de la quarantième année, tombant tout d’un coup, sans transition, sans explication, sans cause, après une vie honnête et régulière, à une aussi lamentable dégradation que celle dont l’un d’eux nous a dit l’histoire. Je ne crois pas que l’on ait jamais va un père, même possédé de l’idée fixe de diriger les ballons, imaginant une combinaison aussi méchante et compliquée que celle que nous avons vue ailleurs pour se débarrasser de ses filles et hériter d’elles. J’imagine qu’on aurait quelque peine à nous montrer le « document humain » dont on s’est servi en ces occasions. Les dramaturges romantiques à l’imagination sombre et dont on se moque, n’ont jamais rien inventé de plus horrible. Quand on a la prétention de « faire vrai, » il ne faudrait charger personne, pas même les scélérats.
Si les romans naturalistes étaient l’exacte peinture de la société française, en vérité il serait bien inutile d’essayer de sauver cette société; on n’y trouverait pas les cinq justes qui eussent suffi au salut de Sodome. Elle tomberait d’elle-même en dissolution, à moins que le feu du ciel ne se chargeât d’en faire bonne et prompte justice. Le bon Dieu heureusement a d’autres moyens d’information que les romans naturalistes, et s’il les lit, ce dont il est permis de douter, il sait ce qu’ils valent. Mais on les lit ailleurs qu’au ciel, en des endroits où l’on est moins en état de les contrôler et où du reste on ne demande pas mieux que de les croire sur parole. Il y a sur la terre des gobe-mouches qui prennent au pied de la lettre tout ce qu’il plaît à des écrivains français d’écrire sur la société française, ou plutôt contre elle, et il y a de savans politiques qui trouvent leur compte à entretenir ces gobe-mouches dans leur douce candeur. Ils signalent à leur vertueuse indignation ces portraits comme autant d’exactes photographies; ils leur demandent ce qu’il faut penser d’une société qui inspire de tels livres et de celle qui les admire. Tout le vocabulaire des prophètes, tout celui de l’Apocalypse est réédité et enrichi même pour qualifier la nouvelle Babylone. J’avoue que c’est une des choses que je pardonne le moins aisément à nos romanciers nouveaux. Nous savons ici à quoi nous en tenir sur la vérité générale de leurs portraits, et eux-mêmes au fond savent bien qu’ils n’ont représenté, en les exagérant, que certaines exceptions monstrueuses. Mais ils ne doivent point espérer d’être lus au dehors, où ils