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désespoir, puis la faim. Elle meurt. Lui alors vient pour s’assurer que sa victime est bien morte : mais surpris dans son examen par le garde-chasse du château, il tire son revolver et menace de le tuer; le garde-chasse riposte, et d’un coup de fusil étend le drôle raide mort. Au bruit le mari est accouru : il aperçoit ce cadavre, il aperçoit celui de sa femme, il comprend tout, et se suicide.

Quelques initiés prétendent que les deux auteurs dont je viens de parler ne possèdent pas, absolument pures de tout alliage, les vraies traditions du vrai naturalisme. En voici deux autres du moins qui se présentent avec les plus complètes garanties : ils peuvent exhiber la marque de fabrique la mieux authentiquée, le diplôme le plus certifié.

L’un ne s’est pas senti une ambition médiocre. Il a entrepris de refaire, suivant la formule perfectionnée et désormais définitive, la Recherche de l’absolu de Balzac, « notre maître à tous. » Excusez du peu ! Balthasar Claës cherchait, après les alchimistes, la pierre philosophale, le secret suprême de la matière; son émule plus moderne se contente de poursuivre la direction des ballons. Enfant perdu de Paris, élevé par charité dans une famille d’ouvriers, il est, à quatorze ans, entré comme apprenti dans une maison d’horlogerie. Il s’est juré aussitôt d’épouser la fille de la maison et de faire fortune. Il a réussi à l’un comme à l’autre. Depuis sa femme est morte, et il s’est retiré, riche de 300,000 francs, aux environs de Paris. Mais le dada des ballons à diriger l’a pris : ses 300,000 francs ont été déjà dépensés en expériences qui n’ont pas abouti. Il a deux filles : la cadette va se marier avec un pharmacien de Clamart; l’aînée, nature douce et triste, faite pour les sacrifices, aime en secret le prétendu de sa sœur. Un oncle leur a laissé par testament à chacune 50,000 francs. Il faut de l’argent au père pour continuer ses expériences qui seront demain la fortune : ses amis l’ont refusé; il s’adresse à l’aînée de ses filles et lui demande ses 50,000 francs; elle aussi refuse, car ces 50,000 francs c’est le moyen d’assurer le pain de la vieillesse de son père qu’elle sait ruiné. Celui-ci prie, s’emporte, frappe ; rien n’y fait. Dès lors son parti est pris. Avec quelques sous d’arsenic il empoisonne celle de ses filles qui allait se marier et la tue; puis il accuse la sœur aînée de l’empoisonnement. De cette façon il héritera de ses deux filles, il aura leurs 100,000 francs à lui seul pour continuer ses expériences. Tout lui réussit également, poison et dénonciation. Sa fille, innocente, est condamnée à mort, et si, dans une conversation suprême, elle découvre que son père est l’assassin de sa sœur et l’auteur de sa propre mort, ce n’est pas elle qui le dénoncera. La veille du jour où l’on doit trancher la tête de la malheureuse, le père va passer sa soirée aux Cloches de Corneville. C’est en prenant sa tasse de café sur le boulevard qu’il lit bientôt, non sans satisfaction, les détails de l’exécution et s’assure qu’il n’a désormais aucune révélation à redouter. Rien ne lui gâterait cette journée heureuse, s’il