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ses théories, pour montrer ce qu’elles préconisent, d’où elles partent, où elles conduisent. Les disciples ne sont pas des traîtres qui travestissent méchamment les doctrines du maître pour les rendre ridicules; ils sont simplement des naïfs qui dans leur sincère admiration en font un usage innocent, et nous les montrent dans leur ingénuité sans voiles.

Parcourons donc quelques-uns de nos récens ouvrages naturalistes. Ici l’on nous montre un homme qui vit de ressources inavouées, il exploite au profit de sa paresse les sens maladifs de créatures déchues. Passons vite. Voici une autre histoire. Une jeune fille douce, calme, sensée et bonne, a épousé sans amour, sans répugnance non plus, un homme qui l’adorait, et qu’un héritage a rendu tout à coup millionnaire. Ils ont hôtel au faubourg Saint-Germain et château à la campagne. Un fils leur est né après quelques années de mariage : ils sont heureux. Ce fils est mis au lycée; il est bon élève, appliqué, content de son maître d’étude, qui est content de lui. Un dimanche, le maître d’étude est invité à venir passer la journée au château. Ce maître d’étude a une large carrure, des épaules solides, de grosses lèvres, des mains velues : un physique parfait de brute vulgaire; le moral est exactement à la hauteur du physique. Jamais âme plus basse n’habita un corps moins poétique. N’importe : à peine la mère a-t-elle vu le maître d’étude de son fils qu’elle est conquise, séduite, fascinée : elle le compare avec le médiocre mari que la fortune lui a donné ; elle n’a de cesse qu’elle n’ait retiré son fils du lycée pour appeler chez elle le maître d’étude comme précepteur. Son fils meurt, et c’est alors son neveu qu’elle retire du lycée pour avoir un prétexte à garder le précepteur à la maison. Lui voit le jeu, mais se garde d’en profiter; car c’est précisément en résistant qu’il espère tirer meilleur parti de la faiblesse de madame. Plus il s’obstine à ne pas sembler comprendre, plus elle s’irrite et s’enflamme : elle sollicite des rendez-vous; une nuit enfin elle n’y tient plus : elle se lève, quitte le lit conjugal, grimpe à la chambre du maître, le surprend dans son sommeil, va déposer un baiser brûlant sur la poitrine velue du lourdaud qui ne s’éveille même pas. Cependant le mari averti congédie le précepteur et emmène sa femme à la campagne. Mais le précepteur l’y rejoint, ou plutôt la femme trouve moyen de l’y ressaisir. Elle combine un rendez-vous dans une vieille tour voisine du château où sa passion a enfin la promesse d’être satisfaite. Mais elle a le tort de remettre au misérable une donation qui lui assure les deux cent mille francs que son mari lui avait reconnus à elle-même par contrat de mariage. Le misérable se dit qu’il serait bien long d’attendre pour en jouir l’arrivée de la mort naturelle. Il graisse les gonds de la porte de la vieille tour et, quand la femme y pénètre, la porte se referme sur elle. Elle s’est faite belle et provocante; elle attend en vain, la peur la prend, puis le