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que sculpteurs : ils habitent dans les ruines, qu’ils accommodent misérablement à leurs besoins.

Ce n’est qu’au début du XIIe siècle qu’on voit poindre un mouvement nouveau, soit que les souvenirs de l’antiquité classique aient seulement sommeillé jusque-là, soit que Rome ait été ranimée par les influences qui s’exerçaient non loin d’elle, en Toscane ou bien dans le sud de l’Italie, d’où l’école du Mont-Cassin était restée en rapport avec l’empire d’Orient et les rois de Sicile. Peut-être l’art de la mosaïque ne s’était-il jamais, dans Rome, tout à fait interrompu : il reparait vers 1130 à Sainte-Françoise Romaine et à Sainte-Marie du Transtévère. C’est aussi l’époque, de 1110 à 1120, où l’art du bronze, après avoir émigré longtemps à Constantinople, semble être de retour. Alors même se montrent d’élégantes œuvres du style gothique, ces campaniles à cinq ou six étages de colonnettes et d’arceaux, ces cloîtres aux légères colonnes incrustées de marbre, et dont quelques-uns ont échappé heureusement aux destructions du XVIe siècle. Bien plus, toute une école d’artistes romains va inaugurer un art à peu près inconnu jusqu’alors et remplir de ses œuvres le centre de l’Italie. Au milieu de cette immense abondance de marbres précieux, dont les fragmens jonchaient la terre, des familles d’artisans, en possession peut-être de certains droits d’exploitation, s’étaient facilement exercées à la sculpture avec mosaïques. La famille des Cosmati s’est fait en ce genre une brillante réputation, qui a duré jusqu’au commencement du XIVe siècle. On peut établir leur généalogie authentique, grâce aux signatures gravées sur leurs ouvrages à Subiaco, Anagni, Cività Castellana et Rome[1]. Dans Rome même, on doit à Laurent les deux ambons de l’église d’Ara Cœli, à Cosme le léger édifice de la chapelle Sancta Sanctorum, du XIIIe siècle, reste unique de l’ancien palais des papes à Saint-Jean de Lateran ; à Jean son fils, contemporain de Boniface VIII, le tombeau de Guillaume Durand, évêque de Mende, dans l’église de la Minerve, et peut-être le cloître de la basilique de Saint-Paul hors les Murs. Rome a conservé de ces intelligens artistes beaucoup d’autres œuvres encore : les belles sépultures des Savelli à l’Ara Cœli, l’élégant ciborium de Sainte-Marie in Cosmedin, des pavages d’églises, des candélabres, des tabernacles. Tout visiteur se rappelle quel agréable contraste ces restes délicats de l’art du moyen âge présentent entre les majestueuses ruines antiques et les fastueux édifices de la seconde renaissance. Toutefois, à la vue de la prodigieuse quantité de fragmens précieux employés pour ces différens ouvrages, on est obsédé de la pensée du pillage impitoyable et permanent qui

  1. Jacobus Laurentii, Jacobus cum Cosma filio suo, Johannes filius Cosmati, etc.