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d’accidens familiers saisis sur le fait, qui concourent singulièrement à la vérité et à la vie de l’ensemble. Je ne dis rien de l’équilibre et de l’harmonie savante de toutes les masses du groupe : jamais cet art suprême du maître ne s’est montré avec plus d’éclat. Pour retrouver au même degré ce prestige de la composition, il faut remonter aux grandes fresques de Raphaël et d’Andrea del Sarto; je cite des peintres parce que la statuaire moderne n’offre aucun terme de comparaison. Que serait-ce donc si ce groupe admirable était rehaussé par la couleur, comme ceux des Grecs, et encadré dans la brillante et joyeuse décoration des temples anciens, au lieu de détacher crûment sa blancheur monotone sur la pierre grise et terne du fronton de Notre-Dame?

Pour achever de faire connaître l’ornementation de cette cathédrale par le grand sculpteur, il me resterait à décrire les deux vastes bas-reliefs qui s’étendent, l’un au-dessus de la porte de l’église, sous le portique, l’Entrée triomphante de Jésus à Jérusalem, l’autre tout autour de l’abside, Jésus allant au Calvaire, et ceci m’amènerait à parler des bas-reliefs de Thorvaldsen en général. Heureusement pour moi, ce côté de son talent est de beaucoup le plus connu et le mieux apprécié. Tous les bons juges reconnaissent que depuis la renaissance, pas un sculpteur n’a égalé le maître danois dans le bas-relief. Il lui dut ses premiers succès et sa première popularité dans Rome, où les artistes l’appelaient il patriarca del basso rilievo, surnom bizarre pour un homme de trente-cinq ans. On voulait dire par là sans doute qu’il était le rénovateur du bas-relief, le premier qui, dans les temps modernes, eût fait revivre cette branche de la sculpture telle qu’elle était aimée des Grecs. Sa manière de traiter le relief fut précisément l’antipode de ce qui se faisait depuis quatre siècles, de tout ce qu’avaient enseigné les maîtres toscans. Ceux-ci en effet, n’ayant guère de modèles antiques sous les yeux que les hauts-reliefs si fréquens de l’époque gréco-romaine, trouvant peut-être dans cette méthode un moyen plus puissant d’expression, une sorte de compromis entre la sculpture et la peinture, adoptèrent dès l’origine et pratiquèrent à peu près uniquement le haut-relief et le demi-relief. Seuls ou presque seuls, Mino de Fiesole en Italie et Jean Goujon en France exécutèrent de véritables bas-reliefs, d’un style bien différent de celui de Phidias, mais suivant ses principes, et avec une grâce et un charme dignes de l’art antique. Pour tous les autres, depuis Nicolas de Pise jusqu’à Sansovino, ce fut une règle, un principe de donner à la sculpture en relief le plus de saillie possible. Quels effets prodigieux de pittoresque et d’expression ont tirés de là tour à tour Orcagna, Ghiberti, Benedetto da Majano, Donatello et tant d’autres, tout le monde le sait. On peut se demander