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statue occupe au milieu du fronton. Il faut à cette place une figure ample et solide, offrant aux regards une masse puissante et des contours bien arrêtés. Dans le groupe d’Egine, Minerve, en élevant sa lance et son bouclier, écarte les plis d’un large péplum. La Niobé de Scopas, pour cacher sa dernière fille dans son sein, étend un voile au-dessus d’elle, et ce marbre fameux, vu de près, paraît trop massif. C’est ainsi que Thorvaldsen a jeté sur les épaules de saint Jean un large manteau déployé des deux côtés et que l’emplacement de la statue peut seul justifier. Il avait vu d’ailleurs, enveloppé d’un grand manteau, dans la galerie Pitti, un très beau saint Jean de Fra Bartolommeo, qui semble l’avoir inspiré.

L’accent si juste de cette figure, pour le dire en passant, son caractère simple et élevé, prouvent de quelle manière Thorvaldsen aurait su traiter les Apôtres, s’il en avait pris la peine. Et cependant il y a de plus beaux morceaux dans le fronton de Notre-Dame : il y en a surtout qui nous intéressent et nous charment davantage. Rien n’est médiocre dans cette grande création, et il faut la regarder longtemps pour en retrouver toutes les intentions, toutes les finesses et les élégances. Manifestement Thorvaldsen y a mis tous ses soins : comme les grands artistes qu’il imitait, il a voulu faire de son fronton un tableau, et, le sujet ne donnant pas matière à des mouvemens dramatiques, il s’est contenté de faire de la sculpture pittoresque et de parler la même langue que dans ses bas-reliefs. À ce point de vue, le Sermon de saint Jean tient une place à part dans son œuvre, et il faudrait le montrer à ceux qui ne connaissent le maître danois que par le Tombeau de Pie VII ou telle autre composition plus ou moins officielle. Ils verraient de quel souffle cet homme mesuré et prudent s’animait, avec quelle souplesse se déployait son imagination, quand une large carrière s’ouvrait devant lui. Chacun de ces personnages issus de sa fantaisie est un type absolu, chacun exprime un caractère et une action individuelle, soit par la physionomie et le geste, soit par le vêtement. Les têtes, tantôt nobles, tantôt triviales, sont toutes d’une vérité naïve, quelques-unes très belles, comme cette femme modelée d’après une jeune Albanaise, admirée de tous les artistes du temps, Vittoria Cardoni. Les costumes ne sont pas seulement ces draperies générales, tuniques, robes, manteaux, que Thorvaldsen employait d’ailleurs avec tant de goût et de richesse. Il a recherché dans l’iconographie, encore trop peu avancée, des renseignemens pour arriver à la couleur locale. C’était alors chose nouvelle, par exemple, dans la sculpture de ronde bosse, que de faire des turbans et d’autres coiffures orientales ou proprement juives. Dans ces costumes, comme dans les mouvemens de ces auditeurs de saint Jean, on voit une foule de détails pittoresques