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génie. Car, si la statuaire grecque des meilleurs temps avait pour principe général dans ses créations le calme et la sérénité, ce n’était pas ignorance ou dédain d’un art plus dramatique, bien loin de là. Seulement elle se gardait de chercher ce dramatique à tout prix et contre la raison. Il n’est pas juste en effet, sauf de rares exceptions, de donner un mouvement vif à une statue isolée, parce que ce mouvement ne s’explique pas aux yeux du spectateur: un homme tout seul ne se livre guère à des gestes violens. Mais dès qu’il s’agit d’un groupe, et que deux ou plusieurs figures exercent l’une sur l’autre une action réciproque, la sculpture peut et doit représenter tous les mouvemens que suggère cette action. Les Grecs n’y manquèrent pas, et dès les premiers âges, témoin le combat si vivant et si pittoresque du fronton d’Égine. Rien n’était plus propre que des groupes de combattans à remplir d’une façon naturelle cet espace triangulaire du fronton, les péripéties de la lutte amenant toutes les attitudes et tous les mouvemens possibles. Emprisonné dans une étroite limite, l’artiste pouvait alors tirer de cette difficulté même les plus puissans effets de vérité, de passion et de beauté sculpturale. Aussi voit-on souvent les statuaires choisir pour les frontons des sujets de batailles. Le combat des Centaures et des Lapithes par exemple était représenté avec éclat sur le grand temple d’Olympie et sur plusieurs autres sanctuaires. A défaut de combat, on prenait une scène de meurtre : Scopas avait rempli un fronton avec son groupe fameux de Niobé et ses enfans, qui tombent à droite et à gauche de leur mère sous les coups d’Apollon et de Diane[1]. Mais je doute que ce chef-d’œuvre lui-même, mis à sa place, surpassât en justesse et en grandeur la rude et archaïque création des artistes d’Égine.

Rien ne prouve mieux le coup d’œil puissant de Thorvaldsen, son instinctive et profonde intelligence de l’antiquité, que d’avoir deviné, en restaurant ces marbres, leur effet d’ensemble, et d’avoir songé, le premier entre les modernes, à imiter cette composition. C’était un projet hardi, car enfin, l’occasion s’étant rencontrée de l’exécuter, il fallait trouver un sujet. On ne représente pas un combat sur la façade d’une église comme sur celle d’un temple païen, et le Nouveau-Testament n’offre guère dans ses récits que des scènes pacifiques, hormis la Passion du Sauveur, que l’artiste réservait, avec raison, pour l’intérieur du sanctuaire. D’ailleurs on ne peut pas traiter toute sorte de sujets dans le cadre d’un fronton : l’emplacement même impose des conditions étroites et inexorables. Il faut au centre un personnage ou un groupe principal, vers lequel convergent par leur

  1. On peut se rendre compte aux Uffizi, à Florence, par les diverses attitudes des Niobides et de leur mère, de la disposition de toutes ces figures à leur place primitive.