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et dans la symétrie qu’ils avaient à leur place originelle. Cet arrangement est déjà excellent pour faire apprécier toute la beauté du groupe, mais il ne suffit pas pour satisfaire la raison ni les yeux, parce qu’on ne voit pas la cause de cette disposition pyramidale et de cette décroissance graduelle de la hauteur des personnages : cela paraît aussi contraire à l’harmonie qu’à la nature. Mais, chose étonnante, dès que ce même groupe est à sa place, à cette place en apparence si peu naturelle, il change entièrement d’aspect, et paraît aussi vivant et aussi parfait qu’on pouvait le croire bizarre et froid. On sait qu’il représente Ajax et les Grecs défendant contre les Troyens le corps de Patrocle, tandis que Minerve préside à la bataille entre les deux partis. Les statues sont là, moulées sur les originaux, placées comme le sculpteur l’avait voulu, et l’on ne peut rien imaginer de plus saisissant. Ce cadre des trois corniches, pour lequel elle était créée, rend à la composition toute sa vie, toute sa beauté, et l’on comprend alors la puissance du style éginétique. Ce ne sont plus seulement des hommes debout ou agenouillés, c’est un combat, une mêlée : on voit ces guerriers se mouvoir, se baisser pour tirer leur arc, s’élancer l’un sur l’autre. Il n’y a pas peut-être, dans les œuvres de la statuaire de tous les temps, un groupe plus animé et plus dramatique. La reconstruction si judicieuse et si éloquente du musée de Berlin suffirait elle seule à absoudre les restaurations de Thorvaldsen.

Dans cette admirable décoration des frontons, tout concourt à mettre en relief les statues et à leur donner la vie. Bien distinctes, quoique rapprochées, leurs contours s’enlèvent avec vigueur sur la teinte vive du tympan, au lieu de se noyer les uns dans les autres comme ceux des haut-reliefs. La forme triangulaire n’est pas assez accusée ici pour empêcher le développement logique et pour nuire à la vraisemblance de la composition; elle en favorise au contraire l’harmonie en attirant sans cesse les regards vers son point central. Enfin les trois corniches, par leur vigoureuse saillie et leurs grandes lignes tranquilles encadrent merveilleusement l’infinie variété de lignes que présentent tous ces corps humains. L’architecture et la sculpture se font ainsi valoir l’une l’autre par les plus heureux contrastes, et l’harmonie paraît si intime entre elles qu’on se demande si la décoration a été faite pour l’édifice ou si au contraire c’est l’édifice qui a été préparé pour la décoration. On est tenté de s’arrêter à cette dernière idée, tant ce groupe vivant de statues, ainsi supporté et encadré ressemble à un excellent tableau disposé sur un chevalet et dans son jour. On comprend alors pourquoi les plus grands sculpteurs de la Grèce aimaient à peupler de leurs chefs-d’œuvre les frontons des temples. C’était pour eux l’occasion de faire de la sculpture pathétique et de déployer toutes les ressources de leur