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aussi vieilles que le monde, et qui sont entrées dans notre sang et dans notre moelle. C’est pourtant l’espérance dont il se berce. La guerre, par exemple, est pour lui le plus odieux des préjugés. Il dit à ce sujet des choses fort judicieuses et d’autres qui le sont moins, car sa raison voyage toujours accompagnée d’une troupe de chimères. On ne peut que l’approuver quand il réfute un auteur allemand qui voit dans la guerre un précieux moyen de sélection naturelle, ein Hauptmittel der natürlichen Zuchtwahl. » Il lui représente fort sagement qu’à ce compte il faudrait encourager les guerres d’extermination, puisqu’elles auraient l’avantage de faire à jamais disparaître les races inférieures. Il lui objecte encore qu’on ne démêle pas très bien quels services ont rendus à la civilisation les invasions triomphantes des Huns et des Mongols, et qu’au surplus la victoire ne prouve rien le plus souvent, sinon qu’il y avait dans l’une des deux armées une paire d’yeux qui voyaient plus clair que ceux du général ennemi.

Mais sur quoi se fonde-t-il pour nous promettre qu’avant peu l’humanité en finira avec ces jeux sanglans de la haine et du hasard, et que tous les différends se termineront par un arbitrage pacifique ? C’est promettre qu’après avoir déraisonné à cœur-joie pendant huit, dix ou cent mille ans, notre pauvre espèce, persuadée par l’éloquence d’un écrivain, va se décider tout à coup à devenir parfaitement raisonnable. « Voudriez-vous me dire, demandait en son temps Rabelais, cet immortel représentant de l’éternel bon sens, comme de fait on peut logicalement inférer que par ci-devant le monde eût été fat, maintenant serait devenu sage ? Pourquoi était-il fut ? Pourquoi serait-il sage ? Pourquoi en ce temps, non plus tard, prit fin l’antique folie ? Pourquoi en ce temps, non plus tôt, commença la sagesse présente ? » M. Hellenbach nous raconte qu’un pacha turc lui dit un jour : « Le fou a toujours des querelles avec le fou, le sage rarement avec le fou, le sage n’en a jamais avec le sage. » Espérons que les sages s’appliqueront à croître et à multiplier ; mais il restera toujours assez de fous pour les contraindre à dégainer. Dans tous les siècles il y aura des passions, et la passion aime le sang. Le jour où il n’y aura plus d’ambitieux, le jour où personne ne convoitera plus le bien d’autrui, le jour où les conquérans se décideront de leur plein gré à faire restitution, à rendre gorge, ce jour-là l’épée rentrera à jamais dans le fourreau ; mais tant que cet heureux changement ne sera pas accompli, les arbitres désespéreront de concilier les procès. L’ardeur de leur philanthropie sera-t-elle jamais aussi vive que l’ardeur des convoitises ? Quelqu’un s’étonnait jadis devant Théophile Gautier qu’il suffît, quelquefois de la coalition de trois boute-feux pour mettre en péril la paix publique et lancer malgré elle l’Europe dans les aventures, il répondit : « Avez-vous jamais vu des bandes d’honnêtes gens ? »

M. Hellenbach n’aime pas la guerre, on ne saurait l’en blâmer. Il