Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’exaspération des nihilistes et des attentats des derniers temps. Dans un empire aussi vaste, de telles doléances peuvent avoir plus d’une fois quelque chose de fondé, bien que les griefs allégués d’ordinaire semblent eux-mêmes en montrer l’exagération[1]. Le reproche que, dans les provinces du moins, semblent le plus mériter les prisons, c’est comme presque partout en Russie, le manque de propreté et le manque d’hygiène. A cet égard, il en est plus d’une qui, en temps d’épidémie, pourrait être regardée comme un foyer d’infection. À cette cause de souffrance pour les détenus il faut ajouter parfois la rudesse et l’arbitraire des geôliers ou des employés, grâce au défaut universel en Russie, le manque de contrôle efficace. Pour les maisons d’arrêt et de détention, le désordre et les abus étaient d’autant plus faciles qu’il y avait plus de confusion dans cet important service. Le ministère de la justice, le ministère de l’intérieur, la me section, avaient hier encore chacun leurs prisons particulières avec une administration séparée. Pour remédier à ce manque d’unité, on vient de concentrer tout le service des prisons dans les mains d’une direction spéciale, placée sous le contrôle de personnages nommés par le souverain.

L’épineuse et grave question du système pénitentiaire a depuis plusieurs années attiré l’attention du gouvernement et du public, et l’on peut espérer que tous les travaux théoriques récens ne resteront pas sans influence sur la pratique. A cet égard, la Russie n’est point, du reste, demeurée stationnaire : depuis 1870 en particulier, à Saint-Pétersbourg, à Kharkof, à Kazan, à Kief, à Nijni-Novgorod et ailleurs, des sociétés privées se sont chargées du patronage des jeunes détenus, ou ont entrepris pour eux l’établissement de colonies agricoles[2]. En 1874, un professeur de l’université de Pétersbourg a ouvert un cours sur la discipline pénitentiaire ; en 1875, on a fondé dans la capitale une prison modèle pouvant contenir sept cents individus et renfermant trois cents cellules, et vers le même temps sont nées des sociétés de patronage pour les détenus comme pour les libérés[3].

  1. C’est ainsi qu’en février 1879 les placards séditieux affiches à Kharkof au lendemain de l’assassinat du gouverneur de la province, le prince Krapotkine, donnaient comme un des motifs de son exécution les traitemens barbares infligés par ses ordres aux détenus politiques de la ville. Or, d’après ces proclamations mêmes, ces traitemens inhumains de l’ostrog de Kharkof consistaient dans l’interdiction de recevoir des vivres du dehors et dans la mise des prisonniers en cellules.
  2. Un professeur de l’université de Kief, M. A. Kistiakovski, a en 1878 fait connaître l’organisation et les résultats des principaux établissemens fondés par ces sociétés aujourd’hui au nombre de neuf ou dix. Voyez la Krititcheskoé obozrénié, numéro d’avril 1879.
  3. Dans la Finlande, qui à cet égard est stimulée par le voisinage de la Suède où toutes ces questions ont été fort étudiées, on s’est, comme en Russie, occupé en même temps d’une réforme du système pénitentiaire et d’une révision du code pénal.