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exceptionnel réservé pour les attentats contre la vie du souverain et la sûreté de l’état. Les travaux forcés devront comme par le passé constituer le plus terrible des moyens de répression ordinaires. Considérée comme remplaçant la peine de mort, cette peine ne pourra plus être infligée qu’aux plus odieux criminels, elle deviendra en même temps moins fréquente et plus sévère qu’aujourd’hui; au lieu d’être subie dans les mines ou les établissemens de Sibérie, elle le serait dans des maisons de force dispersées sur divers points du territoire.

La déportation simple doit être abolie comme peine ordinaire, elle ne subsisterait plus qu’en des cas spéciaux, à titre de mesure administrative contre les suspects politiques et à l’égard des sectes nuisibles. On pourra toujours être envoyé en Sibérie ou ailleurs par ordre de la III section. Pour les suspects politiques ou les sectaires religieux qu’il est difficile de frapper d’une peine régulière, la Russie continuerait l’ancien système d’expulsion. La Sibérie pourra de ce chef continuera recevoir longtemps un contingent régulier de colons forcés. La déportation, cessant d’être une peine régulière infligée aux coupables ordinaires demeurerait, aux mains de l’administration, un moyen de police et de gouvernement. A l’égard des suspects politiques, le pouvoir, qui en avait été sobre dans les dernières années, en use aujourd’hui d’autant plus largement que, dans sa lutte avec les sociétés secrètes, son impuissance à saisir les vrais coupables le contraint souvent d’arrêter et de bannir tout ce qui excite ses soupçons. A l’égard des sectes religieuses, il en est certaines, comme les skoptsy ou mutilés, comme les coureurs ou errans, qu’aucun gouvernement civilisé ne pourrait tolérer. Si les tribunaux ou l’administration n’usaient de la déportation que contre ces immondes et insensés fanatiques, la tolérance ou l’humanité n’auraient rien à leur reprocher[1]. L’on ne saurait malheureusement dire qu’il en a toujours été ainsi. A toutes les extrémités de la Russie, au delà de l’Oural comme au delà du Caucase, le voyageur rencontre d’innocentes colonies d’hérétiques russes, dont tout le crime est de rejeter les dogmes ou les cérémonies de l’église dominante. Avec cette colonisation forcée de tous les élémens réfractaires, politiques ou religieux, le gouvernement risque à la longue

  1. Dans le code pénal russe figurent encore pour les délits religieux certaines peines spéciales et d’un autre âge, qui devraient au moins être réservées pour le clergé ou les tribunaux de l’église. Telle est, par exemple, la pénitence ecclésiastique qui consiste en une sorte de réclusion dans un couvent avec assistance aux offices et remontrances des autorités ecclésiastiques. Cette peine peut être appliquée dans les cas d’adultère, de tentative de suicide, parfois aussi dans le cas d’apostasie de l’église orthodoxe. La loi va même jusqu’à condamner à la pénitence ecclésiastique le médecin qui, par ignorance ou impéritie, a tué ses malades.