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après, le gouverneur de Kharkof, le chef de la IIIe section, général Drenteln, puis le souverain lui-même, étaient successivement dans la capitale l’objet des plus audacieux attentats. La perspective de la peine de mort semblait n’avoir fait que surexciter les colères des anarchistes; il est vrai que jusqu’alors aucun de ces assassins n’ayant été arrêté, aucun n’avait pu être exécuté. L’impunité était sans doute pour beaucoup dans leur hardiesse. Depuis l’arrestation du régicide Solovief et la mise en état de siège des grandes villes, les choses ont changé de face. Les conseils de guerre ont commencé leur sinistre besogne. Pour la première fois depuis de longues années, les bords de la Neva ont vu dresser un échafaud. L’exécution du lieutenant Doubrovine, pendu le 20 avril (2 mai) 1879, a déjà été suivie de celle de trois condamnés à Kief, de celle de Solovief à Pétersbourg[1]. Quand elle aura prouvé aux assassins politiques que leur vie peut répondre de celle des fonctionnaires, la peine de mort pourra retrouver son efficacité et contribuer temporairement au rétablissement de la sécurité publique.

Les ukases qui défèrent certains crimes aux cours martiales n’altèrent pas la législation. L’on peut se demander si la Russie doit beaucoup se féliciter de la douceur d’une législation qui, en certaines circonstances, se retourne contre les tribunaux ordinaires et à la justice civile fait substituer la justice militaire. Dans cette guerre entre la révolution et la haute police, les organes réguliers de la loi se trouvent en effet indirectement compromis par la mansuétude même des lois.

En d’autres pays, en Suisse et en Italie, par exemple, les attentats révolutionnaires ou l’accroissement de la criminalité menacent également de ramener la législation à des peines plus sévères, et, malgré les efforts de certains philanthropes, de rétablir ou de conserver la peine de mort dans des codes dont elle avait disparu ou dont elle allait disparaître[2]. En Russie la suppression de la peine capitale

  1. C’est la potence qui est le supplice ordinaire des condamnés politiques, alors même qu’ils sont jugés par un conseil de guerre. Sous l’empereur Nicolas, les chefs militaires de l’insurrection de décembre 1824 ont, comme le lieutenant Doubrovine, été pendus et non fusillés. La loi laisse du reste aux juges le choix du genre de supplice.
  2. En Suisse, on le sait, une modification constitutionnelle a tout récemment rendu aux cantons le droit de faire usage de la peine capitale. En Italie, sous le premier ministère Depretis, avant la mort du roi Victor-Emmanuel, M. Mancini étant ministre de la justice, l’abolition de la peine capitale, proclamée jadis en Toscane, devait être étendue à tout le royaume. Nous ne savons si la tentative d’assassinat sur le roi Humbert n’empêchera pas de donner suite à ce projet, qui en face du redoublement de la criminalité dans la péninsule paraît au moins prématuré.