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Après sa mort comme pendant sa vie, sa ville natale le traita en souverain et mieux encore. Toutes les maisons étaient tendues de noir sur le passage du convoi funèbre, et le cercueil, porté par les artistes, fut reçu à l’entrée de la cathédrale par le roi et le prince royal de Danemark. Quatre ans après seulement, la dépouille du maître fut transportée dans son tombeau au milieu de ses œuvres.

On voit dans ce musée, au premier étage, un portrait de Thorvaldsen par Horace Vernet; un autre, par le peintre danois Eckersberg, est conservé dans une salle de l’Académie des beaux-arts. Vernet a représenté son ami en train de le modeler lui-même, l’ébauchoir à la main et vêtu de la blouse blanche de l’atelier. Le tableau, daté de 1832, a la puissance et l’éclat ordinaires de Vernet. La figure du statuaire, large et osseuse, encadrée des boucles blanchies de son abondante chevelure, éclairée par le beau regard de ses yeux bleus et par un sourire mêlé de finesse et de bonhomie, respire surtout l’activité et la verve de la pensée. Tout autre est l’image que le peintre danois a laissée d’un maître vénéré: on y sent l’esprit scandinave. Bertel Thorvaldsen, beaucoup plus jeune (le tableau est de 1813), est assis, le regard perdu dans une rêverie mélancolique. Ses cheveux encore blonds tombent autour d’un visage maladif que les fièvres de Rome ont amaigri autant que le travail. Le manteau noir des académiciens de Saint-Luc, jeté sur les épaules de l’artiste, paraît singulier avec cette physionomie de poète élégiaque. Les Danois, naturellement, préfèrent ce portrait indigène ; mais l’œuvre du maître français, supérieure par la qualité, est apparemment aussi plus fidèle. Il semble d’ailleurs qu’on ait besoin des deux images pour recomposer toute la physionomie du grand sculpteur telle que nous la montrent tour à tour les jeunes années et la maturité de sa vie; rêveur, taciturne, modeste, mais indépendant, opiniâtre dans son vouloir et se donnant avec passion au travail pour réaliser ses conceptions. Ses nombreux amis ont vanté la fidélité de ses affections, la tendresse de son cœur; simple et facile dans le commerce de la vie, il garda toujours, même au milieu des grands, la rude et franche bonhomie de sa première condition, et sa considération n’y perdait rien. Cherchons maintenant dans ses œuvres la marche et le mouvement de cet esprit si actif, ses idées sur le beau, ses méthodes, en un mot, toutes les théories qu’il a mises en pratique et dont il n’a jamais parlé.


II.

Bertel Thorvaldsen vint au monde tout juste pour recueillir les fruits de la Renaissance, ou plutôt de la révolution qui, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ramena peu à peu les esprits au