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Louvre, ni à l’École des Beaux-Arts, et restent toujours cachés dans la plus mystérieuse oubliette.

Ce parti pris est d’autant plus fâcheux que nos artistes n’ont guère moyen, sans le secours de ces moulages, de connaître et d’étudier un des maîtres modernes les plus utiles à consulter; car ce que l’on voit de lui communément en Italie ne peut pas, tant s’en faut, donner la mesure de son génie et de ses enseignemens. Il est pourtant un peu difficile de parcourir l’Europe pour voir, dispersé de tous côtés, dans les musées, les châteaux et les palais, l’œuvre immense de Thorvaldsen. Le seul parti à prendre, c’est d’en aller voir les plâtres réunis à Copenhague, où se trouvent d’ailleurs tous les travaux religieux du sculpteur, c’est-à-dire une part considérable de ses créations. Un écrivain qui est en même temps l’un des principaux éditeurs de Paris, M. Eugène Plon, fit un jour ce voyage et en rapporta un livre excellent, une biographie détaillée et très intéressante de Thorvaldsen, accompagnée d’un catalogue descriptif et de nombreux dessins, qui suppléaient à l’insuffisance de la critique. Croirait-on que ce précieux volume, traduit jusqu’en Amérique, honoré de plusieurs éditions en Angleterre et en Allemagne, n’en a pas eu seulement trois à Paris? Il offrit du moins à M. Henri Delaborde l’occasion d’écrire ici même sur Thorvaldsen une belle étude, où l’éminent critique jugeait avec la science et l’autorité que l’on sait plusieurs œuvres capitales du maître danois; étude cependant trop incomplète encore, dans ses analyses et dans ses conclusions, M. Delaborde ayant borné son examen aux seuls marbres qu’il connût par lui-même, aux seuls par conséquent qu’il pût apprécier et juger en détail.

Il reste donc beaucoup à dire sur Thorvaldsen en conduisant le lecteur à Copenhague, soit à l’académie, où l’on conserve religieusement les premiers essais du sculpteur, soit à l’église Notre-Dame, qu’il a décorée au dedans et au dehors de magnifiques ouvrages, et surtout au musée, où l’on peut saisir comme d’un coup d’œil l’ensemble de son œuvre. Thorvaldsen gardait les plâtres, souvent même une bonne copie des morceaux qu’on lui demandait de tous les coins de l’Europe. Dans son testament, il a légué cette admirable collection à sa ville natale. Elle forme aujourd’hui le Musée Thorvaldsen, l’orgueil de Copenhague, ce que l’on y montre tout d’abord aux étrangers. Une visite au maître sévère de l’art classique n’est peut-être pas hors de propos dans un moment où le goût de l’antique semble un peu décroître, où nos jeunes sculpteurs les plus brillans, entraînés par de glorieux exemples et par le besoin légitime du changement, se retournent vers les dangereuses séductions de l’école de Michel-Ange.

Derrière le lourd palais royal de Christianborg on trouve, au