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consulaire, devait désarmer les Européens en face des indigènes, leur a donné au contraire une force bien supérieure à celle qu’ils retiraient des capitulations. En vertu de cette réforme, aucun arrangement financier ne peut être fait en Égypte, ni par le gouvernement local, ni par la Porte-Ottomane, en dehors des puissances. On n’avait pas eu l’air de s’en douter à Paris et à Londres. Aussi la protestation de l’Allemagne contre la conduite du khédive, qu’elle qualifiait de « contraire au droit, » a-t-elle produit partout une vive impression. L’Angleterre, la France, l’Italie, l’Autriche s’y sont associées tour à tour. Mais l’Angleterre et la France n’ont pas cru qu’elles dussent se contenter d’imiter l’Allemagne; piquées au jeu, elles ont résolu d’aller plus loin qu’elle et, du moment qu’elles se décidaient à agir, de pousser les choses jusqu’au bout en renversant le khédive.

Si le mouvement national et religieux auquel Ismaïl-Pacha avait prétendu céder, et que le consul général anglais avait signalé avec terreur à son gouvernement, avait été tant soit peu sérieux, l’entreprise eût été difficile. Pendant trois mois, on avait laissé aux passions indigènes le temps de se développer. Pour la première fois, les Égyptiens avaient eu l’audace de braver l’Europe, et il n’en était résulté pour eux aucun mal! et ils n’avaient point éprouvé le moindre châtiment pour une faute aussi extraordinaire ! On comprend que des hommes qui ne croient qu’à la force fussent singulièrement enhardis par une semblable impunité. Le lendemain de la chute de ses ministres, le khédive s’était mis à réorganiser son armée ; il l’avait portée officiellement au chiffre de soixante mille hommes; l’immense matériel de guerre enseveli dans les magasins et les arsenaux en était sorti ; de nombreuses batteries d’artillerie avaient été rangées le long des côtes de la Méditerranée; le canon résonnait tous les jours sur la hauteur du Mokabam; la citadelle du Caire avait été préparée pour soutenir un siège en règle; les revues, les marches militaires, les démonstrations belliqueuses se poursuivaient avec une ridicule et dangereuse ostentation. Cette odeur de poudre commençait à monter les têtes. Les promenades publiques n’étaient plus aussi sûres que par le passé au Caire et à Alexandrie; un certain nombre d’Européens avaient été arrêtés en plein jour par des soldats ; une troupe de Nubiens avait même fait à plusieurs femmes de sérieuses contusions. Au reste, derrière cet appareil guerrier, l’Égypte jouissait de nouveau du gouvernement national et religieux qu’elle avait soi-disant réclamé. Les ministres indigènes étaient les mêmes qui avaient naguère ruiné le pays. Dès leur arrivée au pouvoir, ils s’étaient mis en devoir d’achever leur œuvre. Pour payer le coupon de mai, la moisson des