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qui n’a réellement figuré avec honneur que dans le défilé de la marche d’Aida. Tous les officiers d’Ibrahim-Pacha, à partir du grade de capitaine, étaient des Turcs ou des Français aguerris par de glorieuses campagnes. Personne n’ignore ce que valent les officiers turcs : les plus ignorans sont doués de cette autorité particulière, de ce génie du commandement qui sont le caractère même des Ottomans et qui, jusque dans leur décadence, en font encore la race la plus vivace de l’Orient. Le jour où des Arabes ont pu devenir capitaines, colonels, généraux dans l’armée égyptienne, cette armée a été radicalement compromise. L’Arabe est fin, souple, habile, mille fois plus intelligent que le Turc ; mais ne le chargez jamais de commander si vous ne voulez pas voir l’anarchie et la faiblesse naître immédiatement sous ses ordres. Il manque de vigueur et de suite dans les idées, il est incapable d’inspirer le respect. Livrées à des officiers arabes, les troupes égyptiennes ont perdu en peu de temps toute solidité, toute discipline; elles ont gardé une assez belle apparence sur les champs de manœuvre, dans les revues et dans les processions de théâtre ; mais ce beau décor, revêtu de couleurs éclatantes, s’est brisé en morceaux à chaque épreuve sérieuse. Aussi, changeant tout à coup d’état à son retour d’Abyssinie, l’armée égyptienne n’a-t-elle plus été employée qu’à combattre les inondations, à former des cordons sanitaires et à percevoir les impôts. Ce sont les officiers eux-mêmes qui l’ont avoué dans une proclamation officielle où ils énuméraient leurs titres à la reconnaissance de la patrie. « Après cela, s’écriaient-ils, nous avons été chargés de la perception des impôts arriérés, sans aucune compensation pour ce travail tout à fait en dehors des attributions de l’armée, pendant que les employés civils regardaient faire sans y prendre part! » À ce compte, on eût mieux fait de fermer les arsenaux et de les remplacer par des ateliers pour la confection des courbaches, le grand instrument de perception en Égypte. Et pourtant de nombreux arsenaux, outillés à l’européenne, continuaient à fabriquer chaque jour assez de canons, d’affûts et de boulets pour servir à l’armement d’une grande puissance militaire, tandis que les écoles gouvernementales préparaient sans cesse de jeunes Arabes à grossir les rangs de ces officiers percepteurs d’impôts qui avaient succédé sur les bords du Nil aux glorieux compagnons d’armes d’Ibrahim-Pacha.

Il est bien clair que le premier acte d’un ministère économe devait être de fermer ces écoles, de vider ces arsenaux, de vendre ce matériel de guerre, de licencier la plus grande partie de ces troupes inutiles et coûteuses. Par malheur, en mettant un certain nombre d’officiers en disponibilité, on ne pouvait pas leur payer