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surtout par la France et par l’Angleterre. Mais, parmi les élémens indigènes, aucun n’offrait aux administrateurs européens les ressources dont ils avaient besoin pour accomplir leur œuvre de réorganisation morale et financière. A la vérité, quelques personnes espéraient pouvoir se servir de la chambre des notables, espèce de chambre des députés dont l’ancien ministre des finances, le principal auteur de la ruine de l’Egypte, avait usé comme d’un instrument propre à tout. Elle n’avait pas été convoquée depuis plusieurs années, et son mandat était entièrement expiré. Qu’importe! on commit l’imprudence de la réunir au Caire peu de mois après l’installation du régime européen, sans se douter qu’on créait ainsi un foyer d’intrigues qui allait devenir d’abord gênant, puis dangereux. Quelles que fussent d’ailleurs les attributions de la chambre des notables, la question de savoir si le khédive devait conserver une part d’autorité directe sur le gouvernement, ou s’il fallait le réduire aux conditions d’existence d’un souverain réellement constitutionnel n’en restait pas moins à résoudre. En Europe, les souverains constitutionnels ne sont pas responsables; leur irresponsabilité est même la cause, l’origine, l’explication de la nature de leur pouvoir: comme on ne veut pas leur demander compte de la marche du gouvernement, ce qui provoquerait d’incessantes révolutions, on les réduit à régner sans gouverner. Mais en Orient les choses sont plus fortes que les théories. Il était bien clair que, si on laissait au khédive une action personnelle sur les affaires, que si on l’autorisait par exemple, comme il ne cessait de le réclamer, à présider le conseil des ministres, aucune réforme ne serait possible. Le rapport de la commission d’enquête avait constaté que la main du khédive ou celle de ses familiers les plus intimes, se couvrant de son nom pour satisfaire leurs intérêts personnels, se rencontrait partout où il y avait un abus à réparer. Or comment, je ne dis pas condamner, mais seulement signaler ces abus devant celui qui en était l’auteur ou le complice plus ou moins volontaire ? On trouve peut-être dans les grandes monarchies de l’Europe des ministres disposés à dire journellement en face les plus sévères vérités à leurs souverains; mais, dans un pays comme l’Egypte, où depuis des siècles le souverain, quel que soit son nom, fait peser sur tous ses sujets, sur les plus grands comme sur les plus petits, un joug étouffant, où la vie de tous est entre les mains d’un seul, qui est libre d’en disposer suivant les caprices d’une volonté sans frein, on a trouvé parfois des ministres qui ont eu ce courage une heure, sous le coup d’un événement extraordinaire, on n’en trouvera jamais qui l’aient à toutes les heures, comme il le faudrait pour l’usage ordinaire de la politique. Jamais devant le khédive les ministres indigènes n’auraient osé faire profiter leurs confrères européens de