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l’autre. Elles n’ont rien de critique, ni de paléographique, ni de diplomatique, mais il est instructif de relever dans l’édition du pasteur les points de contact du jansénisme avec le protestantisme et dans l’édition du prêtre les différences qui séparent le jansénisme d’avec le pur catholicisme romain.

Nous ajouterons désormais à cette liste le nom de M. Molinier. L’édition de M. Molinier marque à certains égards un progrès dans l’histoire du texte des Pensées. M. Molinier sort de l’École des chartes : c’est louer d’un seul mot, j’imagine, l’étendue, la solidité de sa science paléographique. Il n’est pas mauvais d’être un peu paléographe pour déchiffrer l’écriture de Pascal. M. Molinier, dans plus d’un endroit, a donc pu découvrir d’importantes corrections à faire au texte tel qu’on l’imprimait depuis M. Faugère. Il a pu, dans tel fragment célèbre, l’un des plus considérables et des plus laborieusement travaillés du manuscrit, retrouver, sous les surcharges et les ratures, les différens états du style de Pascal et nous montrer ainsi le grand écrivain à l’œuvre. Il a pu signaler enfin, plus complètement qu’aucun de ses prédécesseurs, les emprunts de Pascal, ou même, dans un livre obscur que Pascal cite une fois en passant, — le Pugio Fidei du dominicain Raimond Martin, — faire connaître une source nouvelle parmi les sources des Pensées. Mais c’est là tout. On va voir que ce n’est peut-être pas assez pour se porter éditeur des Pensées.

Et d’abord, — sans vouloir ici toucher à la question de métier, — je puis dire au moins qu’il ne semble pas que les lectures nouvelles de M. Molinier soient toujours heureuses. En dépit de toutes les ressources et de toutes les finesses de la paléographie, je crains bien que telle variante ou telle correction qu’il propose ne soit pas toujours aussi certaine qu’il a l’air de le croire. Évidemment, il a cédé quelquefois à l’entraînement fâcheux de lire autrement qu’on ne faisait avant lui. Je n’en citerai qu’un exemple. On lisait dans les précédentes éditions : « Le ton de voix impose aux plus sages et change un poème ou un discours de face ; » M. Molinier veut qu’on lise désormais : « Le ton de voix change un poème ou un discours de force. » Est-il bien assuré de sa lecture ? Car entre force et face, dans une écriture difficile à démêler, il ne s’agit après tout que d’un jambage de plus ou d’un jambage de moins et l’on comprend que la lecture puisse hésiter. Mais ce que l’on comprend moins, c’est que M. Havet, enregistrant la correction[1], déclare que, « si cela n’est pas très bien dit, cela a pourtant plus de sens que l’autre leçon. » Je ne suis pas de son avis. Le vers d’Oreste :

Ma fortune va prendre une face nouvelle,
  1. Revue politique et littéraire du 24 mai 1879.