pitoyablement malhabile, les uns, troués comme s’ils eussent été jadis enfilés par liasses, les autres, à la marge, dans un coin, au revers, barbouillés d’indications de toute sorte ou de figures de géométrie, tous couverts ou presque tous, — car il y en a quelques-uns qui ne sont pas de la plume de Pascal, — d’une écriture pénible, irrégulière, hâtive, sans orthographe ni ponctuation, dont les lettres sont à peine formées, dont les lignes se dirigent en tous sens, tantôt, par le milieu d’une phrase, brusquement interrompues ou tantôt disparaissant plus qu’à demi sous les surcharges et les ratures, il commencerait à soupçonner la nature de la difficulté. Mais s’il s’avisait de vouloir déchiffrer le texte, et surtout, après tant d’éditeurs, s’il essayait à son tour de s’orienter parmi ces ruines, de raccorder, de rapprocher, de relier entre eux tous ces lambeaux épars, de les ordonner enfin dans l’ensemble d’un plan où chacun parût occuper sa vraie place et produisît sur l’esprit toute son impression, c’est alors qu’il verrait à plein l’énigme, complexe, multiple, insoluble. Vingt éditions, lentement et minutieusement comparées, seraient moins instructives que ce rapide coup d’œil jeté sur les matériaux du grand édifice que Pascal rêvait de bâtir. C’est là que l’on voit combien l’œuvre était loin encore de son achèvement, et combien peu de confiance il est permis d’accorder à tant d’essais de restauration que l’on en a tentés.
C’est M. Frantin, je crois, qui le premier, vers 1835, s’avisa de vouloir « restituer » Pascal. On lui reproche d’avoir distribué les Pensées dans un ordre singulièrement arbitraire, plus arbitraire même que le désordre des anciennes éditions. En ce temps-là d’ailleurs Victor Cousin n’avait pas découvert, — c’est le vrai mot, — l’autographe de Pascal, et de sa grande voix retentissante appelé l’attention sur les mutilations sacrilèges que Port-Royal avait cru pouvoir faire subir au texte original. M. Faugère en 1844 put donc reprendre à nouveau le travail de M. Frantin. Beaucoup d’autres ont suivi depuis lors. Nous signalerons parmi les mieux intentionnés, mais non pas les plus heureux, M. Astié, pasteur protestant[1], et M. Rocher, chanoine d’Orléans[2]. La première de ces tentatives remonte à 1857, la seconde ne date que de 1873. Ce sont aussi bien, l’une et l’autre, tentatives indiscrètes, je veux dire dont les auteurs font trop visiblement effort pour tirer à eux tout Pascal. Elles n’offrent pas moins le plus grand intérêt, parce que, comme elles portent partout la marque d’un vrai zèle et d’une consciencieuse application, elles nous donnent en quelque façon sur le livre des Pensées le dernier mot des orthodoxes protestans d’une part et catholiques de